Les stimuli : une source vitale pour le cerveau

Notre cerveau est accro à toutes formes de stimuli, qu’ils soient visuels, auditifs, tactiles. Cela depuis le plus jeune âge. J’irais même plus loin. Notre cerveau est un véritable drogué de ces informations. Et comme toute drogue, elle peut engendrer de drôles de conséquences si par malheur votre cerveau en devient sous-alimenté… ou suralimenté !

Vous allez voir dans ce billet que ce thème touche à la fois le monde du handicap mais également tout un chacun.

En tant que bon vieux mégalo de service, commençons par parler de moi. Je suis un accro à l’information, un éternel curieux. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir être rassasié. J’ai envie de tout savoir sur l’informatique, le développement mais également sur d’autres sujets comme l’astronomie, la génétique, la psychologie humaine, la musique, la vidéo. Je suis capable de dévorer pendant des heures des tonnes de sites web ou magasines qui me tombent sous la main. Au boulot, mon cerveau est souvent sur-stimulé. Mais plus j’active mes connexions synaptiques plus j’ai l’impression que mes neurones en demandent davantage.

Je me rends compte que je suis un véritable drogué de tout cela à un moment précis de l’année : les « grandes vacances ». La rupture de stimulation est souvent violente. Pendant la 1ère semaine de vacances, j’ai l’impression de tourner en rond. Mon cerveau est en manque. Je n’arrive pas à me satisfaire de ces moments de repos, presque végétatifs. Dans mon cas, ce phénomène est naturellement amplifié par Nathan. Ses journées me paraissent extrêmement lentes, tout est au ralenti avec mon petit garçon. En semaine, je sors parfois de journées où tout était ultra « speed », où j’étais plongé dans un nouvel algorithme par exemple. Je rentre alors chez moi pour parfois donner à manger à ma bouille d’ange. Et le changement d’échelle est brutal. Il lui faut parfois plus de 30 min pour engloutir un minuscule plat Blédichef de 230g ! Mais qu’est-ce qu’il fiche ce bougre ?!? Mon cerveau s’impatiente alors et je me sens désespéré par cette situation.

Comme les drogués, je subis alors un phénomène de « descente ». Dans le cas du début des vacances, il me faut un peu plus d’une semaine pour me caler sur un rythme différent. Mon cerveau arrive alors à se recentrer sur des choses pourtant plus essentielles : savoir profiter de sa famille et profiter de la vie tout simplement.

Dans mon cas, j’ai bien conscience que je suis tellement passionné que je frôle souvent le fameux « burnout ». Ce phénomène touche pas mal de gens que je connais. Nous sommes clairement ici dans l’overdose. Il faut apprendre à se raisonner. En effet, j’ai souvent découvert que la phase de repos et de reconnexion à sa famille est essentielle. Lorsque vous saturez le cerveau d’informations, vous finissez par stopper sa créativité et sa capacité à s’améliorer. L’équilibre est donc vital. Pourtant, je ne compte même plus le nombre de fois où j’ai eu de bonnes idées en marchant ou en laissant tranquille mon cerveau vagabonder dans le monde des rêves.

1ère leçon que j’ai apprise sur la stimulation : tout est histoire d’équilibre.

Prenons maintenant l’exemple inverse qui a touché notre famille de 2 manières différentes.

Ma femme a dû arrêter de travailler pour s’occuper à pleins temps de notre fils. Pourtant, ma femme est au moins aussi brillante que moi et adore tout autant que moi stimuler son cerveau. Pour elle, cela va se passer du côté de la cuisine où elle excelle, des tonnes de livres qu’elle engloutit ou de sa culture musicale. Elle peut aussi passer des heures sur des casse-têtes sur papier ou console. Elle adore aussi apprendre à maitriser les secrets du corps : kiné et arts martiaux.

Je me rends bien compte que la rupture fut brutale pour elle. Sans commune mesure avec ma bête histoire de vacances. Vivre subitement et quotidiennement dans l’échelle de temps de Nathan, ce fut violent. Vous n’avez plus le privilège de prendre du temps pour vous. Vous ne pouvez plus vous adonner à vos stimuli préférés. Par ailleurs, être le parent principalement responsable de l’enfant handicapé implique aussi de stopper toute vie sociale, qui représente pourtant une des formes les plus intéressantes de stimulation. Le travail, l’air de rien, est souvent l’endroit où notre vie sociale est la plus développée, où votre cerveau est le plus sollicité. Il faut ajouter à cela l’exclusion sociale renforcée par le handicap de notre fils puisque beaucoup de personnes ne vont plus s’intéresser à nous. Résultat, Christelle s’est longtemps totalement effacée au bénéfice exclusif de notre enfant. Et bien entendu, cela peut parfois entrainer un peu de déprime. Heureusement, ma femme est forte. Malheureusement, elle a l’habitude de faire face.

Par ailleurs, pour moi, un des facteurs importants de cette déprime est l’absence de stimulations dont je vous parle depuis le début. Si vous sous-alimentez le cerveau en stimuli, vous allez le déprimer. Vous lui coupez ses possibilités d’évasion et sa capacité de reconstruction. Bien sûr, dans notre cas, notre déprime vient plutôt de diverses frustrations liées à l’évolution de Nathan. Mais je pense sincèrement que cette histoire de stimulation y est pour beaucoup aussi.

Conscient de ce phénomène, j’ai essayé d’organiser des petits week-ends tous les 2 ou tous les 3 avec le grand. Nous avons aussi quand même la chance d’avoir des amis proches que nous voyons souvent ainsi que des parents en or. Je sais bien que c’est loin d’être suffisant. Mais cela s’améliore au fil des progrès de Nathan, même si je n’ai toujours pas trouvé la solution magique pour compenser ce manque. Heureusement qu’il y a Internet et la bibliothèque du coin pour aider un peu ! D’ailleurs, ma femme qui était déjà plus cultivée que moi avant Nathan a réussi à le devenir encore davantage après. Malgré toutes nos galères ! De là à en conclure que je suis décidément un geek inculte… 😉

2ème leçon que j’ai apprise : nous sommes fondamentalement des êtres sociaux et notre cerveau a besoin de ces échanges pour progresser.

Parlons maintenant de ma grand-mère. Elle est actuellement en maison de retraite médicalisée. Je trouve que pour 85 ans, son potentiel intellectuel reste élevé. Pourtant, je ne fais que constater une dégradation qui semble s’accélérer plus rapidement que son vieillissement. Je suis persuadé que cela vient du fait qu’elle est sous-stimulée là où elle passe ses journées. Je n’en veux pas forcément à sa maison de retraire (quoique, vu le prix exorbitant, on serait en droit…). Mais je constate à nouveau les effets néfastes d’une mauvaise stimulation cette fois-ci sur une personne âgée. On a même découvert récemment qu’elle devenait méchante avec certains. Cela me rappelle les grand-mères derrière leurs rideaux surveillant ce qu’il se passe dans la rue et n’ayant plus qu’unique centre d’intérêts les ragots. Et puis, il faut le dire : elles ont souvent une envie irrépressible d’agacer les gens pour des détails. En fait, je pense que c’est juste une conséquence de cette sous-stimulation. Elles n’ont plus que ça à faire.

3ème leçon : ne pas laisser le cerveau sous-alimenté sinon il va s’enfermer dans de mauvaises choses.

Et du côté du monde du handicap ?

Avant de parler de mon fils, j’ai 2 histoires récentes qui m’ont marquées. Celle issue du livre de l’artiste « Grand Corps Malade ». Il explique à merveille ce qui lui arrive lorsqu’il devint tétraplégique suite à un accident. Etre allongé toute la journée avec le plafond comme source unique d’inspiration ou être bloqué sur une chaîne de TV imposée car on ne peut pas bouger sont 2 exemples dont on ne prend pas forcément la pleine mesure de prime abord. Pourtant, à mon sens, il parle à nouveau de ce problème de stimulation. Je vous conseille d’ailleurs son bouquin « Patient ». Le type est extra et j’adore sa façon de raconter son histoire. Puis avouons que ses textes sont en général brillants.

De notre côté, nous avions déjà conscience de ce problème de plafond et cela nous a immédiatement parlé. Quand vous passez beaucoup de temps dans les hôpitaux et que votre fils ne peut qu’être allongé, vous vous apercevez qu’un plafond d’hôpital, c’est super chiant en fait. 🙂 C’est ainsi que nous avons découvert que certains hôpitaux étaient plus malins que d’autres et décoraient le plafond ! Une excellente idée pourtant si évidente.

La 2ème histoire est liée au locked in syndrome ou syndrome d’enfermement. Imaginez que votre corps devienne votre prison et que votre unique moyen de communiquer passe par de très légers battements de vos yeux. Le cerveau peut alors devenir totalement fou car vous lui coupez quasiment toutes les entrées possibles de stimuli.

C’est en lisant le témoignage d’une personne étant victime de ce syndrome (dans le livre « Putain de silence » de Philippe et Stéphane Vigand) et des passages du livre « l’ultime secret » de Werber que ce thème de blog nous est venu à l’esprit. Au passage, j’ai pu à nouveau ajuster la perception de ma propre échelle de galère. Je vous invite également à lire le livre de Vigand. J’ai pu voir cette personne à la TV. Ce qui m’a le plus plu dans son histoire, c’est qu’il ait gardé son sens de l’humour. Pour moi, c’est la preuve d’une grande intelligence et d’une force hors norme.

Et le rapport avec la stimulation de Nathan ?

Je trouve que cette longue mise en contexte que je viens de vous faire permet de bien décrire ce que nous avons vécu avec Nathan.

Comme Nathan a des comportements autistiques et une fâcheuse tendance à tout imaginer pour éviter de faire ce qu’on lui demande, il ne va pas se livrer par défaut avec grand plaisir à une nouvelle forme de stimulation. Or, il ne faut surtout pas le laisser repartir seul dans son petit monde, sinon il va finir un peu comme la grand-mère dont je vous parlais plus haut : attaché à des détails sans importance qui ne le feront pas progresser.

En effet, nous avons toujours pu constater que plus on persévérait, plus on arrivait progressivement à le sortir peu à peu de sa bulle et lui faire faire des progrès. Et tout cela me parait finalement tellement logique ! En quoi, même handicapé, Nathan serait-il tellement différent de moi, de ma femme, de ma grand-mère et de n’importe qui d’autre ? Ok, il est un peu lent à la détente mais son cerveau a besoin aussi de cette balance régulière de stimuli et de pause pour le laisser structurer tout cela.

Pourtant, on nous a souvent reproché de vouloir trop « stimuler » notre enfant. Comme si nous étions des parents barbares irresponsables qui tentaient de faire progresser leur enfant à tout prix. Comme si pour les professionnels, on refusait d’admettre la dure réalité : votre enfant n’ira pas bien loin.

Pour eux, à nouveau, son statut d’handicapé semble primer sur son statut d’enfant. J’ai été par exemple marqué en France par le refus systématique pendant des années d’admettre que la méthode ABA pouvait être efficace sur certains enfants autistes. Ce sont des parents qui ont dû se battre, d’abord clandestinement, puis ensuite s’organiser et réussir à convaincre notre système constitué de vieux médecins archaïques de s’ouvrir l’esprit.

Depuis le début, on ne fait que constater cela. On nous dit qu’en tant que parents, nous sommes les mieux placés pour savoir et comprendre ce dont notre enfant a besoin. Pourtant lorsque l’on met en place certaines choses ou lorsque l’on demande d’augmenter un peu certaines stimulations (kiné, orthophoniste, psychomotricité), il faut à chaque fois se battre contre le système.

Ils n’ont toujours pas compris que laisser notre enfant sans la bonne dose de stimulations, c’est l’empêcher de progresser et d’exprimer son plein potentiel. Potentiel plus limité que le nôtre certes, mais potentiel quand même ! Notre enfant peut aller bien plus loin que vous ne l’imaginez. Mais il a besoin de travailler certaines choses bien plus que nous. D’où l’importance d’une stimulation bien ciblée et parfois intensive.

Aujourd’hui, je suis en colère de voir que nous sommes toujours obligés de nous battre pour cela. Nous avons même découvert des méthodes révolutionnaires de kiné comme MEDEK créée au Chili pour stimuler nos enfants en difficultés motrices. Cela a clairement aidé Nathan et nous a ouvert l’esprit. La méthode m’avait même été soufflée à demi-mots par notre neuro alors que je la connaissais déjà grâce à Internet. Comme si c’était quelque chose d’honteux. Alors que cette méthode est parfaitement reconnue au Canada ou en Israël ! On parle quand même de 2 grands pays, là. Mais non, nos médecins français doivent apparemment être plus malins. En fait, je pense plutôt qu’ils sont trop arrogants pour oser se remettre en cause et apprendre de leurs confrères d’autres pays.

J’ai maintenant pleinement conscience que quel que soit le cerveau, il a besoin de stimuli pour évoluer et se maintenir en pleine forme. Je ne laisserais pas mon petit garçon végéter sous prétexte qu’il est handicapé. On sera toujours à ses côtés pour se battre contre ce fichu système qui s’obstine à ne rien vouloir comprendre.

Nos enfants handicapés sont comme nous. Ce sont des êtres sociaux. Ils ont besoin du contact des autres. Ils ont besoin d’être stimulés pour progresser. Comme nous, il faut faire attention à ne pas effectivement tomber dans la sur-stimulation qui serait contre-productive.

Mais messieurs, mesdames les professionnels, faites un peu confiance aux parents pour déterminer quel est le meilleur équilibre. Et laissez nos enfants côtoyer d’autres enfants pour se socialiser. Ne les laisser pas de côté, s’enfermer dans leur solitude. Comme vous, ils ne demandent qu’à apprendre et progresser. Ce n’est pas en les laissant seuls dans une bulle de coton, pour soi-disant les protéger, que vous les aiderez.

5 réflexions au sujet de « Les stimuli : une source vitale pour le cerveau »

  1. Félicitation mon fils, continu comme cela à nous apprendre les travers de notre société et que c’est vrai tout ce que tu dis là. Vous êtes des battants tous les deux et je vous admire. Nathan a effectivement de la chance de vous avoir comme parents. Nous les grands parents ont est un peu démuni et nous ne savons pas encore comment faire et comment réagir même si nous le gardons de temps en temps. Peur probablement de faire mal les choses, car peur de l’inconnu. Le temps nous manque mais peut être que bientôt nous pourrons être plus présent et nous pourrons encore plus vous aider pour que vous puissiez à continuer à faire vos petits weeks end en amoureux.

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  2. Bravo à David et Christelle pour ce blog qui est intéressant,sincère et drôle !
    Il donne la pêche quand -parfois- on se sentirait un peu abattu ! c’est la première fois que je viens mais je sens que je vais devenir une fidèle lectrice !
    Marianne, maman de Gabriel (anciennement au SSAD)

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  3. Un grand bravo et un sincère merci pour votre blog. Parents d’une enfant IMC qui a maintenant 12 ans, nous connaissons bien votre combat et nous nous reconnaissons souvent dans vos texte. J’attends de vous lire encore et encore, continuez, nos enfants ont des ressources qu’on ne peut pas connaître quand ils sont petits et on ne nous aide pas franchement à y croire, je suis complètement d’accord sur la stimulation. A bien vite…

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  4. Je vous rejoins à 10 000/10 🙂 :-):-):-):-):-)
    Le temps me manque pour commenter: sur l’ABA bien sûr et pas que pour les autistes! sur le fait que j’ai moi aussi été influencée par Eglantine Emeyé, sur le fait qu’il semble que stimuler un enfant épileptique peut empêcher son cerveau d’enchaîner les crises (c’est plus compliqué que ça mais je résume et aimerais retrouver cette étude médicale je crois), et que je suis complètement d’accord avec tout ça, cette importance de la stimulation pour nous fonctionnant plus « typiquement » comme pour eux, la possible déprime de l’aidant familial, le fait que nos enfants peuvent nous apprendre les bienfaits de la lenteur ou de la contemplation à une période où relaxation/ méditation/ instant présent sont partout prônés… et plein d’autres choses mais la pause est finie, et j’ai un enfant à aller stimuler justement 😉 avant de l’mmener à l’IME
    Merci et bravo… et si vous êtes d’accord, je me permettrai de faire un lien sur votre articiel sur mon blog
    A bientôt et un gros câlin à Nathan!

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  5. Merci pour cet article. Je suis moi-même en manque de stimuli, non pas parce que je suis handicapée, mais pour un tas de raisons (habituée dans mon enfance à ce que les stimulis viennent de l’extérieur entre autre de ma famille). J’ai fait un burn out quand j’ai démarré en tant que prof de Physique Chimie qui m’a crée ensuite une phobie du travail. J’ai peur d’être trop envahie professionnellement et d’en souffrir. Je crée ainsi toutes sortes d’échecs professionnels pour éviter de réussir, bien que ce que j’ai toujours produit au travail est apprécié. Le problème c’est que du coup je reste trop isolée, mon cerveau adorant pourtant tellement de choses se retrouve trop souvent en manque d’échanges… Je suis passionnée par tellement d’activités (chant, salsa, développement personnel, sophrologie, badminton…) passionnée par l’humain, comprendre ses comportements, analyser ce que chacun vit. Je souffre de me culpabiliser à ne pas arriver à travailler plus, à être en manque de stimulis quotidien. Par dessus s’ajoute un manque de confiance qui grossit. Avez-vous des astuces pour vous stimuler et éviter l’ennui ? Que faites-cou comme travail comment avez-vous réussi à ne pas vous sentir submerger ? Moi c’est trop dur, y’a tellement d’associations que mon cerveau quand je suis au boulot, que j’ai peur d’en avoir trop, de m’engager et de devoir finalement tout briser. De me sentir incapable de travailler. J’aime mon travail plus que tout, je suis formatrice pour des techniques du bien-être (sophrologie, coaching, psychothérapie positive..).Comment gérez-vous votre vie ? Je ne trouve pas d’équilibre je me sens perdue..

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