A mes parents

Cela faisait longtemps que je n’avais pas écrit sur ce blog car ma vie a pas mal été bousculée ces dernières années. Mais ma tendre mère semble aimer ma plume numérique et m’incite à reprendre l’écriture. Ayant fait l’immense travail de me mettre au monde puis de me supporter depuis mon jour 0, ce qui est loin d’être une sinécure, je lui dois bien cela.

C’est donc à elle et à son compagnon de longue route, celui qui se revendique être mon père malgré son étrange couleur de peau jaune et son humour parfois douteux à qui je voudrais m’adresser. D’aucuns diraient d’ailleurs que son humour douteux aurait justement tendance à corroborer le fait qu’il soit bien mon père. Je trouve cela bien malveillant. Bien entendu, de manière plus générale, je souhaite m’adresser aux grands parents d’enfants handicapés ainsi qu’à toute la famille et amis entourant les parents.

Je vous ai déjà raconté la souffrance et le traumatisme du choc de l’arrivée d’un enfant handicapé dans mes articles précédents. Violons, mouchoirs et tout le tintamarre. Mais il y a quelque chose dont je n’ai pas encore fait mention. Enfermés dans le tourbillon infernal qui se déclenche, l’absence totale de recul nous fait oublier… que d’autres sont impactés et souffrent avec nous. Des gens que l’on ne considère alors malheureusement pas assez, pour de bonnes et de mauvaises raisons. Je pense que nous, les parents, sommes tellement dans un reflex de survie et d’énergie totalement focalisée sur le petit être qui a tant besoin d’aide que nous n’avons plus de jus de cerveau disponible pour d’autres. Frères et sœurs inclus malheureusement. C’est après une longue route de reconstruction et de rééquilibrage que l’on arrive à refaire un peu surface et voir quelques mines déconfites qui nous disent bien quelque chose. Dis donc, cette jolie rousse et ce Viet n’ont pas l’air en méga forme ?

Et pour cause ! Je vais vous expliquer comment j’ai été sûrement brutal, désagréable, intolérant pendant de longues années autour de Nathan et du comportement à avoir. Je m’en souviens comme si c’était hier. Je n’en suis pas particulièrement fier mais c’était pour moi la seule solution que je voyais à l’époque. Je suis sûr que toi qui lit, parent également d’un enfant différent, n’a pas été forcément tendre avec tes propres parents. Faisons donc ensemble notre mea culpa dans la joie et l’allégresse !

Nous sommes à l’hôpital d’Orsay dans le service de pédiatrie où je ressens bien que le diagnostique va être super pourri. Vous arrivez à le ressentir dans vos tripes, même si une autre partie de vous a encore envie de croire que c’est juste quelque chose qui va disparaitre aussi vite qu’il est arrivé. Une fois les premiers mots difficiles à entendre prononcés par le chef de service : « épilepsie, spasmes en flexion, etc. » et les prises de sang faites directement sur le crâne de mon superbe garçon, c’est le craquage. Tout le monde chiale. Tout le monde est perdu. C’est juste l’apocalypse mais sans la musique de la Chevauchée des Walkyries en arrière-plan.

Oui sauf que pour Nathan, ce monde est sa vie et qu’il faut l’aider. Du coup, il faut immédiatement se ressaisir. Je me souviens avoir dis à mes parents et grands-parents qu’ils leur étaient interdits de pleurer et de s’apitoyer lorsqu’ils venaient voir Nathan et nous. Mon raisonnement était simple : j’avais besoin de ma famille et de mes amis pour tenir mais je n’avais pas la force de gérer leur désarroi, le nôtre ainsi que la prise en charge de Nathan. Vous passez en monde économie d’énergie et chaque Watt dépensé a intérêt à l’être efficacement. Vos propres parents et famille ? Non prioritaire, l’énergie dépensée ne semblait pas rentable. Calcul pas forcément juste, nous y reviendrons.

Commençons par mes grands-parents et donc par affiliation, les arrières grands-parents de Nathan pour ceux qui ont du mal à suivre. Nathan n’a pas eu la chance de connaître son arrière-grand-père paternel, parti trop tôt des conséquences néfastes de la cigarette. Mais je suis sûr qu’il l’aurait accepté et aimé car c’était un homme bon et juste. En revanche, Nathan a eu la chance d’être entouré de 3 arrière-grands-parents ! J’ai toujours trouvé cela fantastique.

Mon grand-père maternel se comportait parfaitement avec lui autant que je m’en souvienne. C’était une personne incroyable qui nous manque énormément et j’ai de très belles photos de lui avec Nathan. Cela n’est pas surprenant quand on connait la personnalité de mon grand-père.

Non, le problème venait plutôt des deux grands-mères. Je vais vous parler de deux situations qui m’ont particulièrement blessées. Ce n’est pas vraiment pour les accuser mais plutôt pour vous faire prendre conscience de l’importance des mots face à des personnes comme nous, un peu en souffrance admettons-le.

Commençons par la moins fine des deux, c’est sans conteste ma grand-mère jaune. Nous étions un jour chez elle, à la Rochelle, avec Nathan qui devait avoir 3 ou 4 ans. Tout le monde avait bien saisi que Nathan était différent et sur une trajectoire bien différente d’un enfant classique. Enfin, c’est ce que je pensais à ce moment-là. Nathan portait des couches ce jour-là comme depuis sa naissance et comme certainement tout le reste de sa vie. Cela lui donne un style qu’il aime bien. Face à cette situation absurde, ma grand-mère est alors prise d’un élan d’humanité en souhaitant nous transmettre l’éducation ancestrale Vietnamienne. Elle nous dit : « Nous, Vietnam, enlever couche enfant après 1 an ». Oui ma grand-mère s’exprime comme Yoda et n’en est d’ailleurs pas très loin dans les proportions. Bon, sauf qu’elle est jaune au lieu de verte. Et l’air de rien, cela fait une sacrée différence !

Mais revenons à cette petite phrase assassine. La maman et moi étions abasourdis, choqués et blessés. Je n’arrivais pas à savoir si elle se foutait ouvertement de notre gueule ou si elle n’avait pas du tout conscience de ce que représentait le handicap. Peut-être n’avait-elle jamais vu d’enfants handicapés pendant sa vie au Vietnam ? Ou alors, était-elle peut-être tout simplement abrutie ? J’avoue encore être partagé sur la réponse appropriée à cette question. Mais cela me permet d’étendre plus largement à vous, famille et amis de l’entourage. Faites gaffe merde ! Vivre une situation comme la nôtre a tendance à nous mettre légèrement sous pression et à fleur de peau. Merci de piocher au fond de vous le meilleur de votre tact et diplomatie. Surtout que les médecins eux ne souhaitent manifestement pas du tout se prêter à l’exercice, ça serait sympa que les copains le fassent. Bon ensuite, chacun fait comme il peut apparemment. Ma grand-mère Yoda était peut-être déjà à son max. Si c’est le cas mémé, désolé d’avoir émis de tels doutes irrévérencieux.

Mon autre grand-mère était bien plus sensible au handicap de Nathan et cela semblait vraiment beaucoup la bouleverser. Mais elle avait aussi un énorme défaut : ce besoin irrépressible de ramener toute la misère du monde sur elle. Si un truc grave de santé vous arrivait, elle avait quand même tendance à sous-entendre qu’elle aussi souffrait, si ce n’est plus. Bref, une belle hypocondriaque légèrement égocentrique. Pourtant remplie de plein d’autres qualités, je vous rassure. J’aimais profondément ma grand-mère maternelle et j’adorai me foutre d’elle. Car même si elle était dépressive, c’était également un joyeux clown avec beaucoup d’autodérision. Deux facettes pourtant très opposées quand on y pense. Bon alors quelle fut sa phrase à elle qui m’a tant marquée ? Mise en contexte.

Un jour je l’amenais chez mes parents, mon grand-père était déjà parti rejoindre les étoiles à l’époque. Elle devait donc commencer à se dire que pour elle, le même chemin n’était plus trop loin. On parlait souvent des techniques de stimulation, de kiné et autres joyeusetés pour aider Nathan à être le plus autonome possible. Un des sujets les plus difficiles pour nous était : « Nathan saura-t-il un jour marcher ? ». Personne n’avait la réponse à cette question. Un neuro nous a pourtant dit un jour que si Nathan ne marchait pas avant 6 ans, c’était foutu. Et justement, on avait apparemment déjà passé la date de péremption. C’est con un neuro, vous ne pouvez pas imaginer… Avant de les rencontrer, vous pensez que c’est le top du top de la médecine. Grave erreur ! Globalement, ils sont totalement à la rue et ont, pour la plupart, le quotient émotionnel d’un fossile d’huitre. Vous aurez donc compris que le sujet de la marche de Nathan était plutôt un sujet « sensible ». Pas de souci pour le tact légendaire de ma grand-mère qui me décroche juste avant de sortir de la voiture : « Tu sais, j’aimerai bien voir Nathan marcher avant de mourir ».

J’ai eu deux façons d’analyser cette phrase. La première plutôt positive où vous comprenez que c’est vraiment important pour elle, que c’est sa manière de vous le dire. Elle y ajoute même une touche d’optimisme ! En effet, cela pouvait aussi sous-entendre que Nathan allait bientôt marcher puisqu’on sentait bien que ses jours restant n’étaient plus si nombreux. Bon ok, je suis peut-être un brin trop cynique. La deuxième était moins sympa. Je trouvais cela profondément égoïste de sa part de ramener cela une fois de plus à elle sur un sujet aussi important pour nous. Nathan faisait bien sûr de son mieux pour acquérir la marche. Cela correspond pour ces enfants à un effort dont vous ne pouvez imaginer la complexité et le travail. Sa mère se battait tous les jours pour l’aider. Et cette petite phrase était pour moi un immense manque de respect. Manque de pot pour elle, et pour nous, Nathan a réussi ses premiers pas en solo que bien plus tard après qu’elle ait rejoint son amoureux. J’espère malgré tout qu’elle a grave kiffé ce moment comme nous l’avons fait ici. Ce fut l’accomplissement d’un travail de 10 ans. Nathan est un vrai guerrier.

J’insiste donc à nouveau sur l’importance de comprendre au mieux les sujets sensibles pour les parents d’enfants handicapés. Vous n’aurez pas forcément tort d’ailleurs sur la manière d’aborder un sujet. Il se trouve juste qu’ils sont dans un état émotionnel où ils prendront rapidement la mouche. Vous avez donc l’immense charge d’être vigilants et souvent meilleurs que les parents, totalement paumés. Malgré tout, faites l’effort d’aborder les sujets qui fâchent. Cela partira parfois en vrille et vous vous améliorez sur le prochain coup. Mais même si les parents vous semblent des fois trop durs ou trop sensibles, cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas besoin pour autant que vous leur parliez. Je sais, ce n’est pas simple mais c’est nécessaire, voir vital pour eux.

Mais rassurez-vous, le tableau est loin d’être sombre sur ma famille.

Soyons positifs et parlons du centre de la famille : Mister loupinou plus connu également sous le nom de loupinet ou loupi pour les intimes. En effet, je ne suis pas toujours très malin, mais dans mon malheur, j’arrive malgré tout à avoir conscience de la chance que j’ai. Tout d’abord, Nathan est juste magnifique, je ne me lasse pas de regarder sa bouille d’ange. Alors que si on y réfléchit, on n’est pas passé loin de la catastrophe ! Il aurait très bien pu ressembler à son père en plus d’être handicapé ! Un double handicap en quelques sortes, une double peine. Bon en fait, il paraît que c’est mon portrait craché, mais bien craché alors. Nathan est aussi de plus en plus en interaction avec nous, chante à sa façon (quelquefois dès 4h du matin) et se marre de situations que je ne comprends pas toujours. Mais son rire est tellement communicatif, qu’il fait office de super chargeur. Votre batterie passe de 1% à pas loin de 100 en quelques secondes. Un super pouvoir étonnant ! Nathan est également une crème à garder, extrêmement patient pour des trucs pourtant très chiants. C’est vraiment un gentil garçon qui ne demande pas grand-chose. Cependant, il ne rigole pas sur la bouffe ! L’heure, c’est l’heure et il est réglé comme une horloge atomique suisse.

Mais revenons au titre de cet article. Vous l’aurez compris, une autre véritable et immense chance, ce sont mes parents bien entendu. Malgré le fait que j’étais souvent durs avec eux sur tout ce qui touchait à Nathan, vous aurez peut-être compris en partie pourquoi, ils ont sus encaisser et rester derrière nous. Je sais que ce n’était pas simple pour eux de trouver le moyen de nous soutenir et je les voyais bien souvent démunis si ce n’est plus. Pourtant, ils ont été mortels. Ils aiment Nathan de toutes leurs forces, le respecte, le comprennent, savent s’en occuper. Je peux leur confier Nathan en totale confiance.

Pour aimer Nathan et le comprendre, il faut une véritable intelligence, il faut avoir envie de rentrer dans sa bulle mais surtout en avoir la capacité émotionnelle. Un enfant handicapé nécessite le meilleur de l’espèce humaine. Coup de bol, mes parents en font partie. Ils sont d’une intelligence qui se fait de plus en plus rare, d’une très grande ouverture d’esprit. Ils aiment simplement, sans conditions. Tout ce dont Nathan a besoin.

Mes parents sont vraiment hors du commun. Comme un enfant gâté et privilégié, je n’ai en pas pris conscience avant de parler avec d’autres de leurs propres parents et de leurs propres histoires. Je pensais que mes parents étaient la norme, ils sont l’exception.

C’est ainsi, qu’au fur et à mesure, nous leur avons confié Nathan de manière à passer un peu de temps entre nous, en week-end, en vacances, au cinéma. Bref, à vivre. Le rôle de la famille et des amis est extrêmement important pour soulager ne serait-ce qu’un peu les parents de leur fardeau. Cela reste votre fardeau en tant que parents mais vous avez le droit de faire une pause, de prendre une bulle d’oxygène et de regoûter un peu de cette insouciance que vous avez légitimement perdue. Cerise sur le gâteau dans mon cas : mes parents adorent passer du temps avec Nathan.

Bref, si vous êtes de la famille ou des amis proches, rapprochez vous de l’enfant, essayez de comprendre sa différence et proposez ensuite de vous en occuper si la confiance est établie. C’est le plus beau des cadeaux que vous pouvez offrir : votre temps.

J’ai donc la chance d’avoir hérité des meilleurs parents de la planète. Nombreux sont mes amis qui me disent que mes parents sont formidables et qu’ils sont envieux.

Donc, Papa, Maman, merci pour tout. Désolé d’avoir été si dur parfois. Merci de me soulager en étant si présents. Merci d’être si compréhensifs et si tolérants. Merci d’aimer Nathan tel qu’il est. Il a une chance incroyable de vous avoir. Il vous aime même s’il ne vous le dira probablement jamais. Heureusement, moi je peux vous le dire : je vous aime. Vous pouvez être fiers de vous.

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