Mon cheminement vers l’acceptation

Pourquoi lui ? Pourquoi nous ? Ces questions, nous nous les sommes tous posées je pense. Au fur et à mesure des années, j’ai évolué dans ma vision de la chose. Essayons ensemble de voir mon cheminement et ma manière de gérer ce problème car il faut bien le régler pour avancer. En résumé : Dieu, la science, le quantique et le stoïcisme.

Quels sont les premiers sentiments lorsque l’on vous annonce que votre enfant est frappé, voir souffre d’un handicap ? Bah la colère et l’injustice bien évidemment. Qu’ai-je fait de si grave pour mériter ça ? Pourtant, il y a une chance sur 100000 que cela m’arrive me disait-on ! Ne devrais-je donc pas plutôt me réjouir de cette chance ? Dois-je en profiter pour tenter ma chance aussi à l’Euromillions ou cela n’a rien à voir ? Etrange différence de vocabulaire d’ailleurs. « Frapper » et « souffrir » sont deux verbes bien violents je trouve. Ils n’incitent pas à imaginer le handicap comme une chance. Il va donc falloir choisir le camp du handicap. Est-ce une chance ou est-ce un cauchemar ? Quelle en est la cause et en suis-je responsable ?

Bien sûr, dans votre chance sur 100000, vous avez peut-être aussi la chance de faire partie du sous-ensemble des gens qui s’en tapent totalement de leur enfant handicapé. Votre enfant peut donc bien souffrir, vous cela ne vous fait rien. Mais moi, pas de bol, je l’aime cette andouille. Et puis même handicapé, on finit par s’y attacher à ces petites bêtes finalement ! Je vous assure !

Bon, je vous rassure cette fois-ci, l’immense majorité des parents se dévouent corps et âmes (littéralement) pour leurs petits, même ces derniers ont pris cette radicale décision d’évoluer sur une trajectoire différente. Et c’est avec ces parents-là que j’ai découvert les différentes façons d’accepter.

Dieu

L’une d’entre elle : la version religieuse. « Dieu en a décidé ». Bon, pas de chances pour moi à nouveau, j’ai fait la bêtise de choisir d’être athée. Et même en faisant l’effort d’accepter qu’il puisse y avoir un Dieu, pourquoi s’amuserait-il à choisir des familles en particulier pour les « frapper » de la magie divine du handicap ? Pour se marrer ? (et ouais, pourquoi Dieu ne serait-il pas un pervers ?) Pour tester nos limites psychologiques ? Car il y a un quota d’âmes abimées qu’il faut bien refourguer à quelqu’un ? Bon, pourquoi pas. Mais je veux la description complète du mode d’attribution. Je suspecte une corruption quelque part ou un bug dans la matrice. Par ailleurs, j’espère simplement qu’il y a une contrepartie. Genre une place VIP au paradis avec premier rang au spectacle des dauphins, une maison avec sauna, jacuzzi et écrans géants pour les consoles de jeux. Ou des montagnes de rochers Suchard à volonté (eh ! Chacun son truc ok ?). Mais dans tous les cas, ça fait chère la place sérieux ! J’aurai préféré que Dieu me consulte avant.

Bon vous aurez compris que, pour moi, cette approche ne fonctionne pas. Je respecte les gens qui trouvent dans la voie religieuse une manière de gérer leur peine et d’accepter leur enfant différent. En revanche, évitez de parler à un athée de l’influence de Dieu sur le handicap de son enfant, cela l’énerve prodigieusement. En tout cas, moi, ça me rend débile 😉 A bon entendeur… salut.

La science

L’approche que j’ai plutôt choisie est scientifique. Comme beaucoup de familles, nous avons essayé de mener l’enquête. De mon côté, cela est amplifié par mon irrépressible besoin de comprendre comment tout fonctionne, du bouton poussoir d’une borne d’arcade, à la fusion nucléaire en passant par le corps humain bien entendu. Alors la version « bah c’est comme ça », cela m’est intrinsèquement impossible à accepter par nature. J’avais besoin de comprendre le mystère qui flottait autour de Nathan.

Heureusement, il n’y a pas que nous qui cherchions, les hôpitaux et les médecins aussi bien entendu. Par exemple, on nous a demandé 12 millions 532 668 fois comment s’était passé l’accouchement. Comme si un jour, des années après, un de ces abrutis d’internes serait plus malin que les autres et y verrait une explication logique à toute la suite de l’histoire ! Une espèce de génie de l’analyse de l’accouchement. Désolé, ça m’énerve. En informatique, on dit : « RTFM » ou « Read The Fucking Manual ». Bah, là, c’est pareil. Lis le $*#@ de dossier du patient et évites de me poser la question à nouveau. Sauf si ton but dans la vie est de te prendre une grande tarte dans la tronche de parents d’enfants handicapés. Dans ces cas-là, je respecte ton délire !

Bon j’avoue, je ne commence pas par le meilleur exemple 😊. Les médecins ont tout cherché / essayé. On a l’immense chance d’être en France donc la prise en charge est quand-même assez bonne et quasi gratuite. On a eu le droit au forfait total moules frites du gratin de la technologie moderne : IRM, EEG, électromyogramme, marc de café soluble, caryotype, super caryotype et pour finir en beauté… l’analyse génétique ! A nous la copie couleur du génome de notre fils. Qui n’a jamais rêvé de ça.

Je remercie au passage chaleureusement Nicolas Sorel qui a payé pour faire les recherches génétiques pour mon fils. Un mec en or. Il reste de l’espoir dans l’espèce humaine, je vous le dis. Car oui, les recherches génétiques n’étaient pas gratuites, elles. De ce que j’ai compris, pour Nathan, nous étions dans le domaine de la recherche pure pas dans le diagnostic. Pour faire de la recherche génétique, il faut payer les produits pour séquencer le génome de la maman, du papa et du petit. Puis ensuite, un chercheur de l’Inserm bosse dessus. Cela coute environ 2500 Euros.

Alors comment cela se passe-t-il ? Ils commencent par fonctionner par soustraction. Ils cherchent les gènes de l’enfant et enlèvent tout ceux présents chez la maman et le papa. Ils considèrent en effet que ces gènes sont bons car les parents, dans notre cas, sont en bonne santé. Donc évitons de perdre du temps à les regarder de près. Ensuite, on considère qu’uniquement 5% du génome humain serait « codant », que le reste serait une partie dormante ne servant à rien. Cela est de plus en plus remis en cause mais aujourd’hui, du coup, on se concentre que sur les 5%. Pour les amis développeurs qui me lisent, c’est comme si 5% de notre code servait à quelque chose, le reste serait du code inutile non exécuté ou des commentaires. Remarques, il y a peut-être des commentaires dans l’ADN ! Genre : évites de toucher à ce gène, sinon après, on ne sait pas pourquoi, mais c’est la merde ! Exactement comme dans notre code informatique donc.

Résumons.

(ADN de l’enfant * 5%) – gènes de la maman – gènes du papa = gènes qui restent à suspecter.

Bref, un travail de fourmis qui consiste à utiliser des bases de données / connaissances, des cas cliniques similaires et… de l’intuition. Oui, oui. Ce n’est pas comme dans les séries à la TV où tu files l’ADN a un ordinateur magique fluo qui te donne le résultat 2 min après : « Oui, Monsieur, votre ADN est formel. Vous êtes bien con ».

Il faut donc savoir que grâce au généthon, nous avons réussi à cartographier les 5% codant de notre ADN mais que nous n’avons aucune idée des différentes combinaisons possibles. Il y a un nombre gigantesque de combinaisons de nos gènes, certains sont bons, certains sont mauvais. Mais c’est quoi la différence entre une bonne combinaison et une mauvaise combinaison ? Et entre un bon et un mauvais chasseur ? Pour savoir si c’est mauvais, il faut avoir un groupe de patients ayant des symptômes très proches et ayant la même combinaison d’un gène en particulier. Sachant que je n’ai pas l’impression que l’on évalue l’éventuel impact d’une combinaison d’un gène sur un autre…

Bref, après presque 2 ans, la réponse fut : « Bah désolé, on sait pô ». Bien sûr, avec un jargon méga classe de généticien uniquement constitué de mots contenant forcément les lettres ATCG comme GLYCERAT, CAGETTE, TRACAGE, COURTAGE ou encore AGACEMENT. Plus sympa : BECOTAGES. Ah je vous promets, c’est particulier le langage du généticien ! Des années d’étude pour maîtriser ce que l’on peut facilement appeler un art verbal.

Petite anecdote rigolote. Plusieurs pistes de recherches ont été faites pour tenter d’élucider le mystère Nathounet. Lors de notre première remise de clés génétiques, le premier debrief quoi, on s’est retrouvés avec 3 personnes : le professeur chercheur en génétique qui nous suit à l’institut IMAGINE, une psy (pour une histoire trop longue à expliquer) et une chercheuse de l’INSERM. C’est l’abréviation de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale. Ça claque non ? On s’attends à un truc qui va nous en mettre plein les yeux. Et là, je vois au fond de la salle une petite dame toute timide et ultra renfermée sur elle-même. C’est elle qui s’est occupée d’analyser le génome de mon fils. Moi, je m’attends à être en face d’un écran avec de la 3D holographique super belle, des brins d’ADN en couleur qui tournent, des zooms super dynamiques avec une bande de son de folaïlle ! Elle, elle me sort… une feuille de papier A4. Volante. Sur laquelle elle a écrit ses idées au… crayon papier.

Stupeur. Horrible décalage.

Elle est sérieuse là ? Plusieurs trucs se passent dans ma tête à ce moment-là. Le principal ? Je me dis que la feuille, elle aurait pu la perdre à n’importe quel moment, surtout vu le bordel dans leurs bureaux. D’ailleurs, c’est peut-être pour ça que cela a pris presque 2 ans au lieu des 4 à 6 mois initialement promis. Ça se trouve, elle avait déjà fait le boulot. Mais un jour, sa copine Josiane est rentrée dans son bureau et lui a dit « dis donc Marie, ça pue le fennec ici, laisses moi ouvrir la fenêtre ! ». Et paf ! La feuille fut emportée par le vent, le génome de mon fils avec. « Merde, obligé de tout refaire. Josiane m’avait pourtant parlé d’une machine bizarre où je pouvais stocker des informations sur un disque dur. Mais j’y comprends rien moi à ces gadgets. Je ne suis pas inspecteur ! ».

Tout ça pour vous dire que la piste scientifique était bien au bout du bout. La science ne sait pas répondre à la question de « pourquoi lui » ? Pour le « pourquoi nous », notre génome n’y est pour rien non plus apparemment. Cela semble être dû à une mutation spontanée. Est-ce le fruit du hasard, de la pollution, de notre alimentation ? Personne ne peut le dire.

La seule chose sur laquelle ils sont formels au sujet de mon fils : ils ont retrouvé le gène du bo-gosse. Mais pas besoin de faire des recherches pour ça, il fallait juste me le demander, cela faisait longtemps que je le savais !

Le quantique

Cet épisode a eu un mérite inattendu. Celui de m’interroger sur cette complexité exponentielle des permutations génétiques. C’est à la suite de cela que je me suis demandé comment fonctionnait l’ordinateur quantique et s’il pouvait éventuellement aider à résoudre le mystère un jour. J’en ai fait un podcast avec des copains, puis un article de blog pour finir par être invité à faire des keynotes de conférences ou par le gouvernement Wallon ! Merci à Nathan donc de toujours plus me challenger. Il a toujours été une forme d’énergie positive pour beaucoup de choses.

A force de lire beaucoup d’articles sur le quantique, d’en discuter avec des copains comme Fanny et Olivier puis de regarder énormément de vidéos sur YouTube, j’ai fini par avoir un déclic. Il est très récent. Il est arrivé soit avec la dernière excellente vidéo de David Louapre de Science Etonnante, Les inégalités de BELL & les expériences d’Alain ASPECT, soit avec l’excellent bouquin de Julien Bobroff, la Quantique Autrement, offert par mon ami Sylvain.

L’un des phénomènes les plus étranges du quantique est sans aucun doute la superposition des états et le côté « aléatoire » de la mesure où l’on va forcer la particule quantique à choisir l’un de ses états possibles. Le déclic a été le suivant. Les physiciens, avant la mécanique quantique, se disaient qu’ils pourraient peut-être un jour reconstituer un cerveau ainsi que son l’état électrique complet. Si c’était possible, avec le côté déterministe de la physique classique, on pourrait prévoir les prochaines étapes. Pouvoir prévoir ce que le cerveau allait faire, donc prévoir les intentions et décisions d’une personne. Cela impliquerait l’absence de libre arbitre. Toutes nos décisions seraient déjà prises à l’avance par un système dont les règles sont établies. Mais nous savons aujourd’hui avec certitude que la nature est quantique. Tout est quantique à vrai dire, notre cerveau y compris. L’introduction de cette notion d’aléatoire ou probabiliste autorise davantage la possibilité de libre arbitre.

C’est peut-être ce formatage de mon esprit avec la physique classique, son côté déterministe, qui m’empêche depuis des années d’accepter cette anomalie aléatoire. Cette chance sur 100000. L’étude de la physique quantique m’a ouvert l’esprit.

On approche donc de la philosophie. Je me suis dit que l’univers dans lequel nous baignons est d’une complexité passionnante, formidable et encore tellement secrète. Ce côté aléatoire pourrait expliquer cette mutation spontanée dans le mélange du génome de la maman et du papa. J’atteignais donc les limites de notre connaissance et surtout de ma propre intelligence. Il faut savoir s’arrêter un jour.

Le Stoïcisme

Mon autre fils est incroyablement intelligent et bête à la fois. Il est dans cette superposition d’états. Il est quantique également. Heureusement, la probabilité qu’il soit intelligent lorsque je parle avec lui (la mesure) est nettement plus élevée que l’autre état, bien moins agréable. Grâce à cela, nous avons souvent des discussions passionnantes ensemble sur les jeux vidéo, les séries, la géopolitique, les mathématiques, l’algorithmie et la philosophie. Mon grand lit énormément de bouquins de philosophie et se définit lui-même comme stoïcien.

Par exemple, copie d’une vraie discussion avec lui par message hier soir :

Moi, l’abruti : « Salut Mathieu. Quand on parlait de la philosophie d’accepter qu’il y ait des choses sur lesquelles nous n’avons pas le contrôle, est-ce bien le stoïcisme ? »

Lui, l’érudit : « Oui le stoïcisme c’est accorder sa volonté avec la nature, vouloir que les choses arrivent comment elles arrivent plutôt que comme on veut qu’elles arrivent. Mais il ne faut pas confondre avec le fatalisme. »

Nous avions déjà eu cette conversation plusieurs fois et là, l’utilisation du mot nature vient à point nommé. La nature est quantique. Le quantique a cette partie mystérieuse d’aléatoire probabiliste. Du coup, accepter la nature, c’est accepter son côté aléatoire ayant engendré cette anomalie génétique présente chez Nathan. CQFD.

Le sentiment d’injustice vient de la pensée humaine selon laquelle nous devrions tous naître égaux. Or, nous voyons bien que ce n’est pas le cas. En dehors de toutes considérations sociales, certaines personnes naissent plus intelligentes que d’autres, plus fortes que d’autres, plus handicapées que d’autres. Ces règles morales que nous avons créées ont oublié que la nature se moque de notre conception de la vie. Elle n’est pas injuste, elle est tout simplement. Son fonctionnement est ainsi depuis des milliards d’années, nous devons l’accepter.  

Vous pourriez me rétorquer que le cheminement aurait été plus court si je m’étais contenté de « c’est la volonté de Dieu », Dieu ayant créé la nature selon certains. Mais pour moi, ce cheminement était important car, vous l’aurez compris, je ne suis pas très copain avec le concept de Dieu. En tout cas, tel que définit par les religions. Mais chacun doit trouver sa propre voix vers l’acceptation du handicap de son enfant.

En conclusion, j’ai accepté qu’il y ait des choses dans la vie contre lesquelles on ne peut rien. Nous n’avons pas le contrôle sur tout en tant qu’individu ni en tant que collectif. Il ne faut n’y s’en réjouir, ni forcément s’en attrister. Elles sont là, il faut vivre avec. Ensuite, fort heureusement, il y beaucoup de choses sur lesquelles nous pouvons agir, notamment sur le quotidien de nos loulous. Comme le dit très justement mon fils, il ne faut pas confondre tout cela avec le fatalisme. Il faut bien choisir où mettre son énergie, sur des choses avec lesquelles nous avons la plus grande chance de réussir, sur les choses les plus utiles pour nos enfants. Nos enfants, la grande partie du temps, ont accepté qui ils sont vraiment et attendent de nous d’en faire autant puis de les aider au mieux.