Les stimuli : une source vitale pour le cerveau

Notre cerveau est accro à toutes formes de stimuli, qu’ils soient visuels, auditifs, tactiles. Cela depuis le plus jeune âge. J’irais même plus loin. Notre cerveau est un véritable drogué de ces informations. Et comme toute drogue, elle peut engendrer de drôles de conséquences si par malheur votre cerveau en devient sous-alimenté… ou suralimenté !

Vous allez voir dans ce billet que ce thème touche à la fois le monde du handicap mais également tout un chacun.

En tant que bon vieux mégalo de service, commençons par parler de moi. Je suis un accro à l’information, un éternel curieux. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir être rassasié. J’ai envie de tout savoir sur l’informatique, le développement mais également sur d’autres sujets comme l’astronomie, la génétique, la psychologie humaine, la musique, la vidéo. Je suis capable de dévorer pendant des heures des tonnes de sites web ou magasines qui me tombent sous la main. Au boulot, mon cerveau est souvent sur-stimulé. Mais plus j’active mes connexions synaptiques plus j’ai l’impression que mes neurones en demandent davantage.

Je me rends compte que je suis un véritable drogué de tout cela à un moment précis de l’année : les « grandes vacances ». La rupture de stimulation est souvent violente. Pendant la 1ère semaine de vacances, j’ai l’impression de tourner en rond. Mon cerveau est en manque. Je n’arrive pas à me satisfaire de ces moments de repos, presque végétatifs. Dans mon cas, ce phénomène est naturellement amplifié par Nathan. Ses journées me paraissent extrêmement lentes, tout est au ralenti avec mon petit garçon. En semaine, je sors parfois de journées où tout était ultra « speed », où j’étais plongé dans un nouvel algorithme par exemple. Je rentre alors chez moi pour parfois donner à manger à ma bouille d’ange. Et le changement d’échelle est brutal. Il lui faut parfois plus de 30 min pour engloutir un minuscule plat Blédichef de 230g ! Mais qu’est-ce qu’il fiche ce bougre ?!? Mon cerveau s’impatiente alors et je me sens désespéré par cette situation.

Comme les drogués, je subis alors un phénomène de « descente ». Dans le cas du début des vacances, il me faut un peu plus d’une semaine pour me caler sur un rythme différent. Mon cerveau arrive alors à se recentrer sur des choses pourtant plus essentielles : savoir profiter de sa famille et profiter de la vie tout simplement.

Dans mon cas, j’ai bien conscience que je suis tellement passionné que je frôle souvent le fameux « burnout ». Ce phénomène touche pas mal de gens que je connais. Nous sommes clairement ici dans l’overdose. Il faut apprendre à se raisonner. En effet, j’ai souvent découvert que la phase de repos et de reconnexion à sa famille est essentielle. Lorsque vous saturez le cerveau d’informations, vous finissez par stopper sa créativité et sa capacité à s’améliorer. L’équilibre est donc vital. Pourtant, je ne compte même plus le nombre de fois où j’ai eu de bonnes idées en marchant ou en laissant tranquille mon cerveau vagabonder dans le monde des rêves.

1ère leçon que j’ai apprise sur la stimulation : tout est histoire d’équilibre.

Prenons maintenant l’exemple inverse qui a touché notre famille de 2 manières différentes.

Ma femme a dû arrêter de travailler pour s’occuper à pleins temps de notre fils. Pourtant, ma femme est au moins aussi brillante que moi et adore tout autant que moi stimuler son cerveau. Pour elle, cela va se passer du côté de la cuisine où elle excelle, des tonnes de livres qu’elle engloutit ou de sa culture musicale. Elle peut aussi passer des heures sur des casse-têtes sur papier ou console. Elle adore aussi apprendre à maitriser les secrets du corps : kiné et arts martiaux.

Je me rends bien compte que la rupture fut brutale pour elle. Sans commune mesure avec ma bête histoire de vacances. Vivre subitement et quotidiennement dans l’échelle de temps de Nathan, ce fut violent. Vous n’avez plus le privilège de prendre du temps pour vous. Vous ne pouvez plus vous adonner à vos stimuli préférés. Par ailleurs, être le parent principalement responsable de l’enfant handicapé implique aussi de stopper toute vie sociale, qui représente pourtant une des formes les plus intéressantes de stimulation. Le travail, l’air de rien, est souvent l’endroit où notre vie sociale est la plus développée, où votre cerveau est le plus sollicité. Il faut ajouter à cela l’exclusion sociale renforcée par le handicap de notre fils puisque beaucoup de personnes ne vont plus s’intéresser à nous. Résultat, Christelle s’est longtemps totalement effacée au bénéfice exclusif de notre enfant. Et bien entendu, cela peut parfois entrainer un peu de déprime. Heureusement, ma femme est forte. Malheureusement, elle a l’habitude de faire face.

Par ailleurs, pour moi, un des facteurs importants de cette déprime est l’absence de stimulations dont je vous parle depuis le début. Si vous sous-alimentez le cerveau en stimuli, vous allez le déprimer. Vous lui coupez ses possibilités d’évasion et sa capacité de reconstruction. Bien sûr, dans notre cas, notre déprime vient plutôt de diverses frustrations liées à l’évolution de Nathan. Mais je pense sincèrement que cette histoire de stimulation y est pour beaucoup aussi.

Conscient de ce phénomène, j’ai essayé d’organiser des petits week-ends tous les 2 ou tous les 3 avec le grand. Nous avons aussi quand même la chance d’avoir des amis proches que nous voyons souvent ainsi que des parents en or. Je sais bien que c’est loin d’être suffisant. Mais cela s’améliore au fil des progrès de Nathan, même si je n’ai toujours pas trouvé la solution magique pour compenser ce manque. Heureusement qu’il y a Internet et la bibliothèque du coin pour aider un peu ! D’ailleurs, ma femme qui était déjà plus cultivée que moi avant Nathan a réussi à le devenir encore davantage après. Malgré toutes nos galères ! De là à en conclure que je suis décidément un geek inculte… 😉

2ème leçon que j’ai apprise : nous sommes fondamentalement des êtres sociaux et notre cerveau a besoin de ces échanges pour progresser.

Parlons maintenant de ma grand-mère. Elle est actuellement en maison de retraite médicalisée. Je trouve que pour 85 ans, son potentiel intellectuel reste élevé. Pourtant, je ne fais que constater une dégradation qui semble s’accélérer plus rapidement que son vieillissement. Je suis persuadé que cela vient du fait qu’elle est sous-stimulée là où elle passe ses journées. Je n’en veux pas forcément à sa maison de retraire (quoique, vu le prix exorbitant, on serait en droit…). Mais je constate à nouveau les effets néfastes d’une mauvaise stimulation cette fois-ci sur une personne âgée. On a même découvert récemment qu’elle devenait méchante avec certains. Cela me rappelle les grand-mères derrière leurs rideaux surveillant ce qu’il se passe dans la rue et n’ayant plus qu’unique centre d’intérêts les ragots. Et puis, il faut le dire : elles ont souvent une envie irrépressible d’agacer les gens pour des détails. En fait, je pense que c’est juste une conséquence de cette sous-stimulation. Elles n’ont plus que ça à faire.

3ème leçon : ne pas laisser le cerveau sous-alimenté sinon il va s’enfermer dans de mauvaises choses.

Et du côté du monde du handicap ?

Avant de parler de mon fils, j’ai 2 histoires récentes qui m’ont marquées. Celle issue du livre de l’artiste « Grand Corps Malade ». Il explique à merveille ce qui lui arrive lorsqu’il devint tétraplégique suite à un accident. Etre allongé toute la journée avec le plafond comme source unique d’inspiration ou être bloqué sur une chaîne de TV imposée car on ne peut pas bouger sont 2 exemples dont on ne prend pas forcément la pleine mesure de prime abord. Pourtant, à mon sens, il parle à nouveau de ce problème de stimulation. Je vous conseille d’ailleurs son bouquin « Patient ». Le type est extra et j’adore sa façon de raconter son histoire. Puis avouons que ses textes sont en général brillants.

De notre côté, nous avions déjà conscience de ce problème de plafond et cela nous a immédiatement parlé. Quand vous passez beaucoup de temps dans les hôpitaux et que votre fils ne peut qu’être allongé, vous vous apercevez qu’un plafond d’hôpital, c’est super chiant en fait. 🙂 C’est ainsi que nous avons découvert que certains hôpitaux étaient plus malins que d’autres et décoraient le plafond ! Une excellente idée pourtant si évidente.

La 2ème histoire est liée au locked in syndrome ou syndrome d’enfermement. Imaginez que votre corps devienne votre prison et que votre unique moyen de communiquer passe par de très légers battements de vos yeux. Le cerveau peut alors devenir totalement fou car vous lui coupez quasiment toutes les entrées possibles de stimuli.

C’est en lisant le témoignage d’une personne étant victime de ce syndrome (dans le livre « Putain de silence » de Philippe et Stéphane Vigand) et des passages du livre « l’ultime secret » de Werber que ce thème de blog nous est venu à l’esprit. Au passage, j’ai pu à nouveau ajuster la perception de ma propre échelle de galère. Je vous invite également à lire le livre de Vigand. J’ai pu voir cette personne à la TV. Ce qui m’a le plus plu dans son histoire, c’est qu’il ait gardé son sens de l’humour. Pour moi, c’est la preuve d’une grande intelligence et d’une force hors norme.

Et le rapport avec la stimulation de Nathan ?

Je trouve que cette longue mise en contexte que je viens de vous faire permet de bien décrire ce que nous avons vécu avec Nathan.

Comme Nathan a des comportements autistiques et une fâcheuse tendance à tout imaginer pour éviter de faire ce qu’on lui demande, il ne va pas se livrer par défaut avec grand plaisir à une nouvelle forme de stimulation. Or, il ne faut surtout pas le laisser repartir seul dans son petit monde, sinon il va finir un peu comme la grand-mère dont je vous parlais plus haut : attaché à des détails sans importance qui ne le feront pas progresser.

En effet, nous avons toujours pu constater que plus on persévérait, plus on arrivait progressivement à le sortir peu à peu de sa bulle et lui faire faire des progrès. Et tout cela me parait finalement tellement logique ! En quoi, même handicapé, Nathan serait-il tellement différent de moi, de ma femme, de ma grand-mère et de n’importe qui d’autre ? Ok, il est un peu lent à la détente mais son cerveau a besoin aussi de cette balance régulière de stimuli et de pause pour le laisser structurer tout cela.

Pourtant, on nous a souvent reproché de vouloir trop « stimuler » notre enfant. Comme si nous étions des parents barbares irresponsables qui tentaient de faire progresser leur enfant à tout prix. Comme si pour les professionnels, on refusait d’admettre la dure réalité : votre enfant n’ira pas bien loin.

Pour eux, à nouveau, son statut d’handicapé semble primer sur son statut d’enfant. J’ai été par exemple marqué en France par le refus systématique pendant des années d’admettre que la méthode ABA pouvait être efficace sur certains enfants autistes. Ce sont des parents qui ont dû se battre, d’abord clandestinement, puis ensuite s’organiser et réussir à convaincre notre système constitué de vieux médecins archaïques de s’ouvrir l’esprit.

Depuis le début, on ne fait que constater cela. On nous dit qu’en tant que parents, nous sommes les mieux placés pour savoir et comprendre ce dont notre enfant a besoin. Pourtant lorsque l’on met en place certaines choses ou lorsque l’on demande d’augmenter un peu certaines stimulations (kiné, orthophoniste, psychomotricité), il faut à chaque fois se battre contre le système.

Ils n’ont toujours pas compris que laisser notre enfant sans la bonne dose de stimulations, c’est l’empêcher de progresser et d’exprimer son plein potentiel. Potentiel plus limité que le nôtre certes, mais potentiel quand même ! Notre enfant peut aller bien plus loin que vous ne l’imaginez. Mais il a besoin de travailler certaines choses bien plus que nous. D’où l’importance d’une stimulation bien ciblée et parfois intensive.

Aujourd’hui, je suis en colère de voir que nous sommes toujours obligés de nous battre pour cela. Nous avons même découvert des méthodes révolutionnaires de kiné comme MEDEK créée au Chili pour stimuler nos enfants en difficultés motrices. Cela a clairement aidé Nathan et nous a ouvert l’esprit. La méthode m’avait même été soufflée à demi-mots par notre neuro alors que je la connaissais déjà grâce à Internet. Comme si c’était quelque chose d’honteux. Alors que cette méthode est parfaitement reconnue au Canada ou en Israël ! On parle quand même de 2 grands pays, là. Mais non, nos médecins français doivent apparemment être plus malins. En fait, je pense plutôt qu’ils sont trop arrogants pour oser se remettre en cause et apprendre de leurs confrères d’autres pays.

J’ai maintenant pleinement conscience que quel que soit le cerveau, il a besoin de stimuli pour évoluer et se maintenir en pleine forme. Je ne laisserais pas mon petit garçon végéter sous prétexte qu’il est handicapé. On sera toujours à ses côtés pour se battre contre ce fichu système qui s’obstine à ne rien vouloir comprendre.

Nos enfants handicapés sont comme nous. Ce sont des êtres sociaux. Ils ont besoin du contact des autres. Ils ont besoin d’être stimulés pour progresser. Comme nous, il faut faire attention à ne pas effectivement tomber dans la sur-stimulation qui serait contre-productive.

Mais messieurs, mesdames les professionnels, faites un peu confiance aux parents pour déterminer quel est le meilleur équilibre. Et laissez nos enfants côtoyer d’autres enfants pour se socialiser. Ne les laisser pas de côté, s’enfermer dans leur solitude. Comme vous, ils ne demandent qu’à apprendre et progresser. Ce n’est pas en les laissant seuls dans une bulle de coton, pour soi-disant les protéger, que vous les aiderez.

Changeons ensemble l’intégration du handicap car nous serons tous touchés un jour

Généralement, l’homme a souvent peur de l’inconnu, de ce qu’il ne comprends pas ou de ce qui sort de son système de valeurs établies depuis son enfance. C’est à mon sens le plus grand fléau de nos sociétés. Les réactions sont malheureusement souvent négatives et entrainent par exemple le rejet, l’agressivité voir même la haine. Certains débats récents ne font que confirmer mon sentiment. D’autres préfèrent ignorer une situation qui les dérangent en se disant: “ce que je ne vois pas, n’existe pas”. Comme bien d’autres différences, le handicap ne fait pas exception à ce phénomène. Mais heureusement, tout n’est pas obscur. Certains individus sont plus tentés de comprendre l’inconnu. Leur curiosité et leur ouverture d’esprit les mènent alors à se rapprocher de l’autre pour échanger et apprendre d’eux. Les 2 parties s’enrichissent alors mutuellement et y gagnent souvent beaucoup.

Mais avant de parler de ce sujet captivant, commençons par un peu de “marketing”. Parlons d’abord du logo et de sa perception.

Logo-handicap

En effet, vous connaissez tous cette symbolique utilisée pour représenter le monde du handicap: une personne en fauteuil roulant (même s’il existe d’autres logos moins connus je trouve). Aujourd’hui, lorsque l’on repère ce symbole, on l’associe directement à la notion de handicap. On est ainsi censé prendre pleinement conscience que lorsque l’on se gare sur une place avec ce symbole, on fait une bêtise! Cependant, il reste beaucoup d’idiots ne semblant toujours pas comprendre ce concept pourtant simple à assimiler. Preuve qu’il reste du boulot sur l’opération marketing et la sensibilisation au handicap.

Malgré tout, je trouve ce symbole vraiment réducteur sur ce qu’il est censé englober. Le handicap s’exprime de milliers de façons différentes. Mais on s’en rends jamais compte tant que nous n’y sommes pas confrontés. Dans notre cas par exemple, Nathan est catégorisé dans la section polyhandicap. J’ai mis longtemps à comprendre ce que cela pouvait bien dire. Ma seule référence au monde du handicap était ce symbole et les para ou tétraplégiques que j’y associais bêtement. Quelle pouvait bien être la signification du mot polyhandicap?

Au fur et à mesure, j’ai fini par comprendre que le handicap touchait quasiment tous ce qui pouvait nous constituer: notre mental, notre physique, notre chimie, nos sens. Nathan a la chance d’avoir un savant mélange de plusieurs déficiences ce qui fait de lui un polyhandicapé. Terme générique qui n’aidera personne à comprendre sa différence. Ce n’est pourtant pas très compliqué à expliquer en détails. Nathan a un retard neurologique qui le freine énormément dans l’acquisition de la parole ou de la marche par exemple. Bref, son cerveau n’est pas au mieux. Par ailleurs, il est ce que l’on appelle hypotonique, ce qui veut dire que tu es trop mou mon garçon! Tes muscles sont trop relâchés. Du coup, quand il était bébé, il ne se tenait pas correctement assis et se penchait trop d’un côté. Cela a modifié sa colonne vertébrale et a engendré une cyphose (écroulement sur lui-même vers l’avant) et une scoliose (une sorte de S se forme dans son dos). Pour finir, il a des comportements autistiques. En gros, des troubles de la communication et du comportement. Bref, il se retrouve pour manger dans une chaise moulée à son corps, sur roulette, un corset sur le torse, des coques aux pieds et n’est jamais bien concentré sur ce qui vous intéresse vous. Il est donc franchement éloigné de ce que peu m’inspirer le symbole par défaut du handicap. J’aurais aimé un peu plus de pédagogie du système médical ou une meilleure gestion de l’information par les organismes de santé.

Alors tout ce que je viens de dire peut vous paraitre un peu dur j’imagine. Mais pourtant, je pense que nous sommes tous demandeur d’explications claires et simples de la situation. Ce n’est pas en se réfugiant derrière des mots barbares que les médecins vont atténuer notre chagrin et mieux nous protéger. Au contraire! On veut savoir pour mieux agir pour notre enfant. C’est donc mon premier conseil: par pitié, expliquez nous avec des mots simples ce qui arrive à nos enfants. Cela nous permettra de mieux comprendre et du coup de mieux expliquer aux autres. Cela favorisera l’échange et l’écoute des autres.

Continuons sur cette notion de marketing. Le problème majeure de la bonne gestion du handicap est qu’il coute cher, qu’il est loin d’être sexy et tant que nous n’y sommes pas confronté directement, franchement on peut le dire, on s’en fout royalement. Il n’y a qu’à voir la pauvreté de l’accessibilité dans notre pays par rapport à certains pays scandinaves ou des Etats-Unis où j’ai eu l’occasion de me rendre. Et puis, un polyhandicapé comme Nathan ne pourra surement jamais voter ou protester auprès de nos élus ou candidats. Et nous parents, on a parfois malheureusement plus assez d’énergie pour aller se battre à nouveau à sa place. J’espère malgré tout qu’un jour nous nous fédérons tous pour faire pression et faire changer les choses. 

En attendant: la France est toujours aussi mauvaise dans ce domaine et l’actualité récente indique que cela n’est pas prêt de changer: Handicap : l’accessibilité des villes, toujours insuffisante 

Je me suis alors longtemps creusé la tête sur la manière “d’intéresser” à l’importance du handicap sous un angle marketing. Cela peut peut-être vous choquer mais je trouve ça important de réussir à trouver un moyen d’intéresser la masse.

Par exemple, dans mon boulot, j’ai fait partie d’un groupe de travail sur l’accessibilité et nous parlions fréquemment des sites web. L’accessibilité est quasiment systématiquement négligée dans la conception des sites car mal maitrisée, introduite au mauvais moment et surtout en priorité ultra basse. J’avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouvais pas de manière pour faire changer les choses à une échelle importante. A part bien évidemment la technique du méchant bâton: rendre obligatoire la chose par décret. Technique qui ne marche jamais de manière globale. Je cherchais donc une approche qui pouvait motiver dès le début les responsables. 

Puis arrive en fait l’évidence. Evidence qui m’a longtemps échappée. Nous serons tous un jour handicapé d’une manière ou d’autre

Vous finirez surement par voir de moins en moins bien et ce jour là, l’accessibilité mise en place sur un site web vous sera bien utile. Or, il se trouve que nos actuels et futurs vieux seront friands de nouvelles technologies et seront nombreux. Point important pour les industriels: ils auront de l’argent à dépenser ! Vous allez voir alors que, magiquement, beaucoup plus de monde va s’intéresser à l’accessibilité visuelle.

Cette approche est d’ailleurs vraie pour l’ensemble des handicaps. Ce qui est bon pour un handicapé est bien souvent bénéfique aussi pour un non-handicapé.

Qui n’a par exemple jamais galéré en ville avec sa poussette, devant prendre parfois des risques en roulant n’importe où pour continuer d’avancer? Alors imaginez la même situation avec un gros fauteuil électrique. Pourtant ce que nous ferions sur les infrastructures pour un fauteuil sera bénéfique pour tous. Je l’ai constaté aussi dans l’industrie logicielle. Certaines interfaces avaient été travaillées pour faciliter la navigation de personnes mal voyantes. On s’est alors aperçu que des personnes valides utilisaient les mécanismes d’accessibilité (navigation au clavier) car ils étaient plus efficaces. Les exemples sont donc nombreux.

J’espère donc que cette fatalité qu’est notre dégradation naturelle bénéficiera à ceux qui n’ont pas attendu d’être vieux pour galérer.

Au passage, la vie me fait ainsi un peu penser à une courbe de Gauss:

J’avais déjà ce sentiment depuis longtemps mais c’est ma grand-mère actuellement en maison de retraite médicalisée qui m’a conforté dans ce sentiment. Elle a des difficultés à se déplacer, utilise un déambulateur qui ressemble étrangement à celui de mon fils. On se moque d’ailleurs souvent gentiment d’elle en lui disant que si elle ne fait pas gaffe, Nathan va finir par aller plus vite qu’elle! 😉

Mais ce qui m’a le plus marqué c’est la fin de la courbe. Elle touche nos personnes âgées et entrainent des difficultés à gérer qui ressemblent furieusement à celles que nous avons avec nos enfants handicapés. Nos enfants se situent plutôt en début de courbe bien sûr. Et comme je vous le disais dans mon billet précédent, l’échelle de temps n’est pas du tout la même pour eux. Ils restent longtemps bloqués sur le début de la courbe et leurs courbes sont bien plus plates que les nôtres puisque leur potentiel est plus faible. Pour ma part, j’espère toujours être dans la phase ascendante. 😛

J’espère donc que ce vieillissement de la population apportera des modifications économiques salvatrices pour nos handicapés. Notre pays gère malgré tout le handicap trop souvent de manière honteuse en attendant. Surtout pour un pays qui se revendique “social”. J’aurais l’occasion de revenir sur pleins de points choquant dans des prochains billets. 

Bon, nous avons abordés jusqu’à présent que des aspects marketing ou économiques de la gestion du handicap. Mais il y a un problème de fond encore plus important à gérer dont je vous parlais au début: la perception même du handicap par les autres.

On ne nous apprends pas à nous comporter face à une personne handicapée et comme on se trouve en plus rarement dans cette situation, on est encore plus paumé le jour où cela arrive. Alors comment réussir à améliorer cela?

Je pense que l’une des manières les plus efficaces est de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge et mélanger les 2 populations. Les petits acceptent de manière magique le handicap de l’autre car ils sont encore innocents et n’ont pas encore de barrières, de préjugés. Leur référentiel, leur système de valeurs est en pleine construction. Si l’on intègre le handicap d’un autre pendant cette phase, les enfants le percevront comme quelque chose qui fait naturellement partie de la vie. Ils n’auront aucun problème plus tard à se comporter face au handicap. Bref, nos enfants sont tout simplement les adultes de demain.

Laissez moi ainsi vous partagez une anecdote sur Nathan. Ma femme a voulu l’intégrer quelques heures par semaine en école maternelle dans notre village. Au début, j’avoue que j’étais vraiment sceptique sur l’intérêt pour lui. J’avais aussi peur de la “confrontation” avec les autres enfants ordinaires. On allait encore s’en prendre plein la figure et se rendre compte de l’énorme différence d’évolution entre ces petits bouts de choux et le notre. J’avais peur que cela nous fasse plus souffrir qu’autre chose.

Bien sûr, nous ne l’avons pas envoyé à la maternelle pour qu’il apprenne comme les autres et qu’il fasse plus tard polytechnique. Nous savons depuis longtemps que Nathan est sur une trajectoire différente. Nous voulions qu’il soit stimulé par cet environnement créatif et joyeux qu’est la classe. Pourtant, la soit-disant “psychologue” de la MDPH n’a pas manqué de nous rappeler que notre enfant était handicapé et qu’il ne fallait pas que l’on se fasse d’illusions. Il n’ira jamais plus loin. Merci Madame, nous étions déjà au courant depuis longtemps. N’hésitez pas par contre à reprendre vos études de psychologie, j’ai l’impression que cela n’a pas été bien brillant sur les bancs de l’école et que vous avez loupé pas mal de notions élémentaires. Les réticences étaient fortes donc, vous l’aurez compris. Et heureusement que sa super éducatrice et  sa super enseignante du SSAD étaient là pour nous épauler et surtout épauler notre fils. Merci aussi à la directrice et aux enseignantes de notre école d’avoir accepté de jouer le jeu!

Pourtant, l’expérience fut extraordinaire pour Nathan. Il fut stimulé comme jamais par les autres enfants. Les débuts étaient un peu durs mais rapidement tout le monde a constaté des progrès. Alors que ma femme avait vu au début une levée de boucliers, tout le monde a fini par admettre après 3 ans d’intégration à la maternelle que l’expérience était vraiment réussie. Il ne faut jamais lâcher l’affaire lorsque vous êtes convaincu que c’est bon pour votre enfant !

Mais le plus top fut le comportement des autres enfants. Ils voulaient aider Nathan, lui faisaient des bisous, s’occupaient de lui. C’était une petite star. Aux fêtes de fin d’année, je voyais des enfants qui réclamaient aux parents de venir voir mon petit. Je remarquais bien que certains parents n’avaient pas l’air super emballés mais les petits eux n’en avait que faire. Le top du top fut sa dernière fête des écoles. Sa maitresse l’a intégré au spectacle malgré son handicap. Elle lui a trouvé un rôle de sultan qui ne bougeait pas et restait assis sur une table pendant que les filles faisaient une danse du ventre autour de lui et lui remettaient leur foulard pour le charmer. Il était magnifique avec son costume. Les autres enfants étaient merveilleux. C’était un moment parfait et magique. Son handicap n’existait plus, Nathan faisait parti du groupe. Bien sûr, je pleurais de bonheur.

J’espère que cela aura marqué les enfants qu’il aura côtoyés et que cela fera d’eux des adultes à l’aise avec le handicap.

Je pense donc que l’éducation nationale doit avoir une place prépondérante dans le changement de perception et l’amélioration de l’intégration du handicap dans nos vies. Par ailleurs, la loi du 11 février 2005 a renforcé notre droit à intégrer nos enfants handicapés dans le système scolaire. Pourtant, je peux vous dire qu’ils sont nombreux à tout faire pour nous empêcher d’y arriver, MDPH incluse, ce qui est choquant. Mais battez vous, faites valoir vos droits. Cela sera bénéfique pour votre enfant et ceux des autres !

On en arrive donc à parler de la perception des adultes. Or, faire changer le regard des adultes envers le handicap est bien entendu plus difficile.

Il y a un truc par exemple qui m’hallucine, c’est le taux de personnes handicapées dans nos entreprises. Il parait que la population des handicapés est de 5 millions en France. Alors certes, tout le monde n’est pas en état de travailler. Mais sur les actifs potentiels, je serais curieux de connaitre le taux de chômage. Il doit être effrayant. Du coup, à nouveau, personne ne se retrouve confronté au handicap dans sa vie quotidienne et cela n’améliore donc pas ses capacités à le gérer. 

Nos RH se réfugient derrière des excuses bidons. Ils préfèrent payer l’amende plutôt que de prendre le risque de travailler avec des gens qui leur font peur. Pourtant, par exemple dans mon domaine, être en fauteuil n’empêche pas de taper sur un clavier. Mieux, à l’heure du fameux télétravail, la personne peut travailler souvent chez elle si nécessaire. Encore mieux, je suis intimement persuadé qu’une personne souffrant d’un handicap aura surement plus de rage et de motivation dans son boulot qu’une personne lambda. Mais à nouveau, est-ce vraiment de leur faute à nos chers RH ? Ils n’ont surement jamais été confrontées au handicap et respectent bien la règle de “ce que je ne connais pas me fait peur”.

Bon, je m’aperçois que je suis en train d’écrire un billet trop long. Alors je vais finir sur 3 points que je voulais vraiment aborder. Sinon, c’est un livre qu’il va falloir que j’écrive.

1. La médiatisation. Je suis content de voir que des émissions comme “Les Maternelles” sur France 5 abordent fréquemment la question du handicap avec tact et intelligence. Cela permet bien de montrer que le handicap de nos enfants fait partie de la vie. J’adore l’équipe. Il y a aussi eu l’excellente émission récente d’Eglantine sur France 5 à nouveau: Mon fils, un si long combat suivi de enfants sorciers.

Il faut vraiment continuer sur cette voie en faisant attention à ne jamais tomber dans un voyeurisme malsain ou en voulant être trop larmoyant. Ensuite, il y a bien sûr l’émission annuelle sur Téléthon où l’on voit des présentatrices comme Sophie Davant vraiment donner de sa personne. Un vrai bel être humain. C’est aussi l’occasion unique de mettre le focus sur des maladies rares. Bon, le problème, c’est que TF1 persiste à vouloir mettre en face des jolies filles en maillot de bain… Forcément, entre voir un enfant à la vie difficile en fauteuil et un 90/60/90 en bikini sur l’autre chaine, j’imagine aisément le choix des gens. Et il faut être honnête, l’émission Téléthon n’est pas non plus super captivante. Il y a surement moyen de rendre l’émission plus dynamique. Mais c’est malgré tout un moment que j’adore dans l’année car je vois pleins de gens d’exception se mobiliser dans les villages. Mes parents par exemple se donnent à fond ! 🙂 Pourtant même si je donne tous les ans, je ne pense pas que cela couvre des recherches pouvant aider un jour mon fils. Je le fais donc par pure solidarité pour les autres.

2. Je pense que la responsabilité du changement de perception et du partage ne vient pas uniquement du côté des personnes valides. Les personnes handicapées ou leurs parents se doivent aussi de faire un effort et essayer de s’ouvrir aux autres. Il ne faut pas hésiter à expliquer, à montrer, à partager. Je sais que c’est souvent difficile et douloureux mais c’est nécessaire. Faites-le bien entendu dans la mesure du possible. C’est ce que j’essaie de faire par exemple à travers ce blog.

Sinon, on risque de se retrouver qu’entre familles partageant le monde du handicap, là où l’on se sent bien. Les autres nous comprennent forcément mieux, on se sent alors enfin dans notre élément. Pour vivre heureux, vivons cachés diront certains. Pourtant, à chaque fois que j’ai osé parler de mon fils, presqu’à chaque fois la personne en face avait été plus ou moins concernée. Un neveu, un cousin, un oncle, un frère, un ami. On s’aperçoit alors que nos handicapés, nous les cachons pour être tranquille et c’est tout simplement une mauvaise idée.

Il faut donc absolument éviter le phénomène de ghettoïsation potentiel. Retrouvons-nous de temps en temps entre familles d’handicapés, cela nous fait à chaque fois un bien fou. Mais ne sortons pas du reste de la société, cela serait un échec d’intégration. Soyez fier de vos enfants et parlez-en autour de vous. Ils sont incroyables, ils le méritent.

3. Pour finir, j’aimerai insister sur un point qui est vraiment important à mes yeux. Un enfant handicapé est avant tout un enfant avant d’être un handicapé. Pourtant, même les professionnels du secteur semblent parfois l’oublier. Ce sont juste des enfants. Donc ils vont ruser, chouiner pour rien, faire des caprices, manipuler leurs parents. Ils vont même jusqu’à se permettre de se moquer de vous les vilains! Nathan par exemple a une technique bien à lui pour éviter de faire les choses qui manifestement le gonflent. Il mets ses poupouces dans la bouche et va jusqu’à simuler être épuisé. Et lorsqu’il voit des fois qu’il a eu raison de l’adulte qui s’occupait de lui, je l’ai vu se marrer en douce! J’imagine bien ce qu’il se dit alors dans sa jolie tête blonde: “trop fort, je suis trop bon comédien !”.

Pourtant, on nous a déjà plusieurs fois reproché de vouloir “trop” stimuler notre enfant. Ne le bousculez pas trop le pauvre, il est handicapé vous savez! Oui, oui, on est toujours au courant je vous rassure! 🙂 Mais on vous rappelle aussi de notre côté que c’est un enfant avant tout. S’il a décidé de ne pas réaliser un truc même s’il en est capable, il va trouver n’importe quel subterfuge pour éviter de le faire. C’est juste un enfant. Alors bien entendu, le curseur est souvent difficile à trouver entre sa capacité réelle à faire quelque chose et une souffrance éventuelle liée à son handicap. Mais si on passe autant d’années à se battre à leur côté, c’est qu’on les aime vraiment nos enfants, ce n’est pas pour les faire souffrir par plaisir. Donc, faites nous un peu confiance. 😉

Voilà, c’est en substance ce que je voulais partager. J’aurais tellement plus à dire mais il faut savoir se concentrer sur l’essentiel.

En conclusion, n’ayez pas peur du handicap, vous aurez compris que vous avez de fortes chances d’y être confronté un jour d’une manière ou d’autre autre. Je suis désolé de vous l’apprendre. Mais du coup, autant vous y habituer le plus vite possible! 😉

Et ne vous inquiétez pas, il n’y a pas que tristesse et désolation à partager, nous avons aussi des bons moments à partager avec vous. Faisons donc un pas l’un vers l’autre, échangeons et apprenons.