Nous sommes le chef d’orchestre de sa vie, pas les médecins

Ce billet s’adresse particulièrement aux jeunes parents d’enfants handicapés mais aussi à tous les parents qui seront un jour confrontés au monde médical.

Avec Nathan, j’ai mis du temps à réaliser une chose essentielle : seul nous, les parents, avons la vue globale et la responsabilité complète de la vie de notre enfant.

Cela veut dire que vous allez devoir être le vrai moteur de sa thérapie. Dans le cas d’enfants handicapés, il faut se substituer en grande partie à leur capacité de choisir par eux-mêmes. Vous serez une sorte de chef d’orchestre, un chef de projet, responsable de mettre en harmonie toute une vie. Il va falloir être autonome, malin, motivé et lucide. N’ayez pas peur, vous en avez la capacité. Nos enfants nous donnent étonnamment plus d’énergie qu’ils nous en prennent. Par ailleurs, le sentiment d’injustice qui nous touche au début se transforme rapidement en colère puis souvent en détermination à aider au mieux nos bouts de choux.

Ainsi, ne croyez pas et n’espérez surtout pas que le milieu médical prenne en charge le projet de vie de votre enfant. Ils vont vous aider techniquement sur certains points mais ils ne s’intéressent pas vraiment au projet d’une manière globale. Vous n’êtes que des épiphénomènes dans leurs calendriers surchargés. Leur absence d’intérêt et de suivi peut même les amener à mal orienter les choix thérapeutiques.

Laissez-moi vous partager le cheminement qui nous a amené à cette vérité. Vérité que nous vérifions souvent avec d’autres parents d’enfants handicapés que nous rencontrons.

Il était une fois, un mini-moi en plus beau, nommé Nathan, qui faisait de violentes crises d’épilepsie. Bien évidemment, cela nous obsédait comme les neurologues qui le suivaient. Ainsi toute l’énergie et intérêt thérapeutiques étaient centrés sur le petit cerveau du bonhomme. Comme des princes, on s’est donc offert le forfait toutes options : IRM, électro-encéphalogramme et antiépileptiques dernière génération. On ne se refuse rien chez les Rousset, on est comme ça dans la famille. Dans le cocktail magique des médicaments se trouvait une bonne vieille cochonnerie répondant au doux nom d’Epitomax. D’ailleurs, question marketing ils ne sont pas super malins les gars. Je n’aurais pas envisagé le terme « max » dans un médicament censé réduire les crises. J’dis ça, j’dis rien. (Je peux me montrer disponible auprès de l’industrie pharmaceutique pour de brèves missions de consulting à des tarifs vraiment raisonnables !).

Revenons au sujet. Chaque rendez-vous tournait donc autour du magnifique cerveau de Nathan. Mais pendant ce temps-là, Nathan ne prenait quasiment pas de poids. Cela énervait passablement ma femme et la stressait au plus haut point. N’importe quel enfant est censé prendre du poids de manière régulière au début de sa vie. Elle abordait donc ce point à chaque rendez-vous, immédiatement balayé d’un revers de main par un « oh mais votre enfant est bien proportionné, tout va bien, ne vous inquiétez pas ». Bien proportionné ? Bah en voilà une bonne nouvelle dans cet océan de malheurs ! Donc le fait qu’il soit 3 indices en dessous des courbes « normales » ne semblait inquiéter personne. Ma femme ne lâchait pourtant rien, à chaque rendez-vous elle ramenait le sujet sur la table mais tout le monde s’en foutait royalement. Observons plutôt la myélinisation du cerveau de Nathan, c’est bien plus intéressant. Puis les IRM, c’est cool, c’est en 3D. Tandis que franchement, il n’y a rien de plus chiant qu’une balance !

Les mois, les années s’enchaînent. Jusqu’au jour magique où d’un seul coup le médecin se réveille et se dit « eh mais dis donc, il n’aurait pas un méchant problème de poids votre garçon là ?!? ». Mais il se fout de nous ou il fait exprès ? Heureusement, nous sommes sauvés. Grâce à une formation de 7 longues années minimum, le médecin est doté d’un tact légendaire doublé d’une psychologie hors pair jalousée par toutes les autres professions. A juste titre !

D’abord, on découvre que le médicament Epitomax rend dépressif et anorexique. Un bête effet secondaire, rien de bien dramatique. Mais j’avoue que je n’aurais pas été franchement contre mieux le comprendre avant. Pour résoudre le problème, on nous évoque alors, en toute simplicité, la possibilité de nourrir notre fils de force directement via une sonde. Voilà, problème résolu ! Fallait pas se faire de bile pour si peu ma p’tite dame. Patient suivant s’il vous plait !

Bien sûr, je n’avais alors qu’une seule question en tête. Je le tape tout de suite ou maintenant ? Qu’est-ce qui est le plus efficace ? Lui péter les dents ou lui casser les genoux ? Une combinaison subtile des deux : lui péter un genou avec une dent que je lui aurais arrachée ? (le lecteur sera certainement horrifié à ce stade d’apprendre que l’auteur soit capable d’un tel esprit de violence. Je m’en excuse. D’autant plus que, rassurez-vous, je ne suis pas physiquement capable d’arracher une dent à main nue !)

Heureusement, vous reprenez rapidement vos esprits et là, il faut se rappeler d’être plus malin que les médecins pour les aider à surmonter leur profond handicap affectif et de gestion de la psychologie humaine. Lui faisant tout de même observer que vous aviez pourtant évoqué le problème depuis plusieurs mois, vous demandez s’il n’existe pas de solutions moins intrusives.

On nous oriente alors vers un nutritionniste. On discute ensemble du cas de Nathan. Comme nous constatons un volume désespérant fixe et faible de nourriture que l’on peut lui faire ingurgiter, on se dit, jouons sur une autre variable : la quantité de calories par bouchée. On nous prescrit alors un produit hypercalorique à mélanger à ses repas. Ah ! Ah ! Victoire pensait ma tendre épouse. Torse bombé, fier d’avoir remporté ce combat pour Nathan, on se rend donc vers la pharmacie de notre village pour commander le précieux sésame. Mais là, je prends conscience que nous faisons en fait partie d’une caméra cachée géante depuis le début. Une vaste farce à la Truman Show. Le pharmacien nous indique en effet, un peu embêté : « euh… le produit que Necker vient de vous prescrire n’est plus fabriqué depuis au moins 3 ans ! ». Mon choix est fait. Ce sera les genoux que je casserais.

Je vous passe la suite qui est d’autant plus absurde. Comment avons-nous géré la situation au final ? Système D. Ma femme a acheté du ketchup, du beurre, tout ce que nous n’avons pas le droit de prendre lorsque nous sommes au régime. Elle a regardé les petits pots et choisissait ceux qui avaient le plus calories. Elle s’est battue comme une lionne pour que Nathan prenne le plus de cuillères possibles. Je me souviens même qu’elle les comptait et notait quotidiennement le score à battre. A force d’acharnement, elle a réussi à éviter cette option qui nous dévastait d’avance : la sonde. Mais tout cela aurait encore davantage été écarté si dès le début quelqu’un avait écouté ma femme pour prendre en considération autre chose que les problèmes neuro.

De la même manière, vu que la petite tête de Nathan ne tournait pas rond, cela eu des impacts divers et variés. Son hypotonie (muscles trop lâches, je vous aide pour le scrabble) faisait qu’il se tenait complètement avachi sur le canapé sur l’un de ses côtés pendant plusieurs années. Résultat : une cyphose (déformation de la colonne vertébrale avec un « y » ! Enorme à nouveau pour le scrabble) doublée d’une scoliose. Tout cela lui vaut l’immense honneur de devoir porter aujourd’hui un corset le plus possible nuit & jour.

Je ne peux m’empêcher de penser que s’il y avait eu cette sorte de chef de projet dès le début, on aurait pu bien mieux anticiper ces conséquences. Mettre de la kiné tout de suite et nous sensibiliser sur sa tenue, faire plus de psychomotricité, envisager un corset peut-être plus tôt, j’en sais rien moi mais il y avait surement matière à faire nettement mieux.

Cependant c’est à partir de là que nous avons vraiment compris que de nombreuses choses étaient liées entre elles. La maladie de Nathan engendre plusieurs conséquences et pathologies différentes. En s’occupant de l’une d’entre elles, on en affecte une autre. Par exemple, en mettant un corset on évite une déformation plus importante de sa colonne vertébrale mais du coup on perd en tonicité musculaire du dos nécessaire pour son bon maintien debout. Et tout simplement de son dos aussi. Tout est question d’équilibre. Et personne ne vous aidera à déterminer au mieux cet équilibre, c’est à vous de trancher. Dans notre cas, on refuse que Nathan porte son corset 22h sur 24 comme prescrit. Il le porte toutes les nuits et au moins 3h par jour en faisant de l’activité avec l’aide de sa mère. Cet équilibre, je l’appelle harmonie. Nous sommes donc des chefs d’orchestre qui dosons tout cela pour que cela sonne bien. Un mélange d’intuition et de logique.

Vous vous souvenez, au début, je vous ai dit que vous alliez devoir être autonome, malin, motivé et lucide.

Autonome, car vous allez devoir apprendre seul plein de choses que les médecins ne vous diront pas, soit parce qu’ils ne le veulent pas, soit parce qu’ils n’y pensent pas, soit parce qu’ils ne savent pas. Ce n’est pas en passant 30 min à l’arrache tous les ans avec votre enfant qu’ils sauront ce qui est le mieux pour lui. Vous, vous passez votre vie à ses côtés. Vous connaissez ses moindres détails. Vous savez déchiffrer la moindre de ses émotions ou expressions. Heureusement, Internet est une source incroyable d’informations pour nous aider. Attention d’ailleurs à ne pas l’utiliser trop tôt dans votre histoire. Prenez le temps de la digérer car il faut savoir l’utiliser avec beaucoup de recul. C’est un outil aussi puissant que dangereux. Mais grâce à lui, nous avons pu « challenger » les médecins, remettre en cause certains choses, lire des avis d’autres familles, découvrir des méthodes comme Medek ou Essentis. Cela gonfle prodigieusement les médecins. Mais ils ne nous laissent pas le choix.

Malin, car il faut savoir s’adapter, imaginer des solutions avec ce que l’on a. Ma femme, je la compare souvent à Mac Gyver. Elle bidouille un plot d’abduction avec un pied de lit, imagine des jeux de psychomotricité pour Nathan avec des boîtes en plastique, trouve des parades pour palier à ces déficits.

Motivé, car vous allez rencontrer de nombreuses barrières parfois même de ceux qui sont censés vous aider comme la MDPH. Les lourdeurs de notre administration, les réactions des gens, le manque de communication vont parfois vous faire baisser les bras. Gardez la niak, ne lâchez rien.

Lucide, car vous allez devoir juger de la pertinence de ce que l’on va vous proposer pour votre enfant en faisant usage de votre bon sens. Il faut savoir remettre en cause avec intelligence, critiquer de manière constructive, chercher des alternatives parfois dissimulées. Mais par-dessus tout, c’est cette lucidité qui sera importante pour envisager au mieux le projet global de votre enfant.

J’ai souvent entendu dire que les parents ne devaient pas se substituer au système médical ou médico-social. Mais il suffit d’un minimum de lucidité pour s’apercevoir rapidement que c’est faux. Aujourd’hui, je n’ai jamais eu d’encadrement global du handicap de Nathan. Nous sommes obligés d’être derrière l’ensemble de son projet pour s’assurer que tout ce qui est possible est envisagé et exécuté. Peut-être qu’un jour les choses s’amélioreront, certainement suite à la pression des parents.

En attendant, pour notre part, nous serons aussi longtemps que possible le capitaine du vaisseau Nathan pour l’aider à affronter au mieux les éléments agités qui lui feront face.

Les stimuli : une source vitale pour le cerveau

Notre cerveau est accro à toutes formes de stimuli, qu’ils soient visuels, auditifs, tactiles. Cela depuis le plus jeune âge. J’irais même plus loin. Notre cerveau est un véritable drogué de ces informations. Et comme toute drogue, elle peut engendrer de drôles de conséquences si par malheur votre cerveau en devient sous-alimenté… ou suralimenté !

Vous allez voir dans ce billet que ce thème touche à la fois le monde du handicap mais également tout un chacun.

En tant que bon vieux mégalo de service, commençons par parler de moi. Je suis un accro à l’information, un éternel curieux. J’ai l’impression de ne jamais pouvoir être rassasié. J’ai envie de tout savoir sur l’informatique, le développement mais également sur d’autres sujets comme l’astronomie, la génétique, la psychologie humaine, la musique, la vidéo. Je suis capable de dévorer pendant des heures des tonnes de sites web ou magasines qui me tombent sous la main. Au boulot, mon cerveau est souvent sur-stimulé. Mais plus j’active mes connexions synaptiques plus j’ai l’impression que mes neurones en demandent davantage.

Je me rends compte que je suis un véritable drogué de tout cela à un moment précis de l’année : les « grandes vacances ». La rupture de stimulation est souvent violente. Pendant la 1ère semaine de vacances, j’ai l’impression de tourner en rond. Mon cerveau est en manque. Je n’arrive pas à me satisfaire de ces moments de repos, presque végétatifs. Dans mon cas, ce phénomène est naturellement amplifié par Nathan. Ses journées me paraissent extrêmement lentes, tout est au ralenti avec mon petit garçon. En semaine, je sors parfois de journées où tout était ultra « speed », où j’étais plongé dans un nouvel algorithme par exemple. Je rentre alors chez moi pour parfois donner à manger à ma bouille d’ange. Et le changement d’échelle est brutal. Il lui faut parfois plus de 30 min pour engloutir un minuscule plat Blédichef de 230g ! Mais qu’est-ce qu’il fiche ce bougre ?!? Mon cerveau s’impatiente alors et je me sens désespéré par cette situation.

Comme les drogués, je subis alors un phénomène de « descente ». Dans le cas du début des vacances, il me faut un peu plus d’une semaine pour me caler sur un rythme différent. Mon cerveau arrive alors à se recentrer sur des choses pourtant plus essentielles : savoir profiter de sa famille et profiter de la vie tout simplement.

Dans mon cas, j’ai bien conscience que je suis tellement passionné que je frôle souvent le fameux « burnout ». Ce phénomène touche pas mal de gens que je connais. Nous sommes clairement ici dans l’overdose. Il faut apprendre à se raisonner. En effet, j’ai souvent découvert que la phase de repos et de reconnexion à sa famille est essentielle. Lorsque vous saturez le cerveau d’informations, vous finissez par stopper sa créativité et sa capacité à s’améliorer. L’équilibre est donc vital. Pourtant, je ne compte même plus le nombre de fois où j’ai eu de bonnes idées en marchant ou en laissant tranquille mon cerveau vagabonder dans le monde des rêves.

1ère leçon que j’ai apprise sur la stimulation : tout est histoire d’équilibre.

Prenons maintenant l’exemple inverse qui a touché notre famille de 2 manières différentes.

Ma femme a dû arrêter de travailler pour s’occuper à pleins temps de notre fils. Pourtant, ma femme est au moins aussi brillante que moi et adore tout autant que moi stimuler son cerveau. Pour elle, cela va se passer du côté de la cuisine où elle excelle, des tonnes de livres qu’elle engloutit ou de sa culture musicale. Elle peut aussi passer des heures sur des casse-têtes sur papier ou console. Elle adore aussi apprendre à maitriser les secrets du corps : kiné et arts martiaux.

Je me rends bien compte que la rupture fut brutale pour elle. Sans commune mesure avec ma bête histoire de vacances. Vivre subitement et quotidiennement dans l’échelle de temps de Nathan, ce fut violent. Vous n’avez plus le privilège de prendre du temps pour vous. Vous ne pouvez plus vous adonner à vos stimuli préférés. Par ailleurs, être le parent principalement responsable de l’enfant handicapé implique aussi de stopper toute vie sociale, qui représente pourtant une des formes les plus intéressantes de stimulation. Le travail, l’air de rien, est souvent l’endroit où notre vie sociale est la plus développée, où votre cerveau est le plus sollicité. Il faut ajouter à cela l’exclusion sociale renforcée par le handicap de notre fils puisque beaucoup de personnes ne vont plus s’intéresser à nous. Résultat, Christelle s’est longtemps totalement effacée au bénéfice exclusif de notre enfant. Et bien entendu, cela peut parfois entrainer un peu de déprime. Heureusement, ma femme est forte. Malheureusement, elle a l’habitude de faire face.

Par ailleurs, pour moi, un des facteurs importants de cette déprime est l’absence de stimulations dont je vous parle depuis le début. Si vous sous-alimentez le cerveau en stimuli, vous allez le déprimer. Vous lui coupez ses possibilités d’évasion et sa capacité de reconstruction. Bien sûr, dans notre cas, notre déprime vient plutôt de diverses frustrations liées à l’évolution de Nathan. Mais je pense sincèrement que cette histoire de stimulation y est pour beaucoup aussi.

Conscient de ce phénomène, j’ai essayé d’organiser des petits week-ends tous les 2 ou tous les 3 avec le grand. Nous avons aussi quand même la chance d’avoir des amis proches que nous voyons souvent ainsi que des parents en or. Je sais bien que c’est loin d’être suffisant. Mais cela s’améliore au fil des progrès de Nathan, même si je n’ai toujours pas trouvé la solution magique pour compenser ce manque. Heureusement qu’il y a Internet et la bibliothèque du coin pour aider un peu ! D’ailleurs, ma femme qui était déjà plus cultivée que moi avant Nathan a réussi à le devenir encore davantage après. Malgré toutes nos galères ! De là à en conclure que je suis décidément un geek inculte… 😉

2ème leçon que j’ai apprise : nous sommes fondamentalement des êtres sociaux et notre cerveau a besoin de ces échanges pour progresser.

Parlons maintenant de ma grand-mère. Elle est actuellement en maison de retraite médicalisée. Je trouve que pour 85 ans, son potentiel intellectuel reste élevé. Pourtant, je ne fais que constater une dégradation qui semble s’accélérer plus rapidement que son vieillissement. Je suis persuadé que cela vient du fait qu’elle est sous-stimulée là où elle passe ses journées. Je n’en veux pas forcément à sa maison de retraire (quoique, vu le prix exorbitant, on serait en droit…). Mais je constate à nouveau les effets néfastes d’une mauvaise stimulation cette fois-ci sur une personne âgée. On a même découvert récemment qu’elle devenait méchante avec certains. Cela me rappelle les grand-mères derrière leurs rideaux surveillant ce qu’il se passe dans la rue et n’ayant plus qu’unique centre d’intérêts les ragots. Et puis, il faut le dire : elles ont souvent une envie irrépressible d’agacer les gens pour des détails. En fait, je pense que c’est juste une conséquence de cette sous-stimulation. Elles n’ont plus que ça à faire.

3ème leçon : ne pas laisser le cerveau sous-alimenté sinon il va s’enfermer dans de mauvaises choses.

Et du côté du monde du handicap ?

Avant de parler de mon fils, j’ai 2 histoires récentes qui m’ont marquées. Celle issue du livre de l’artiste « Grand Corps Malade ». Il explique à merveille ce qui lui arrive lorsqu’il devint tétraplégique suite à un accident. Etre allongé toute la journée avec le plafond comme source unique d’inspiration ou être bloqué sur une chaîne de TV imposée car on ne peut pas bouger sont 2 exemples dont on ne prend pas forcément la pleine mesure de prime abord. Pourtant, à mon sens, il parle à nouveau de ce problème de stimulation. Je vous conseille d’ailleurs son bouquin « Patient ». Le type est extra et j’adore sa façon de raconter son histoire. Puis avouons que ses textes sont en général brillants.

De notre côté, nous avions déjà conscience de ce problème de plafond et cela nous a immédiatement parlé. Quand vous passez beaucoup de temps dans les hôpitaux et que votre fils ne peut qu’être allongé, vous vous apercevez qu’un plafond d’hôpital, c’est super chiant en fait. 🙂 C’est ainsi que nous avons découvert que certains hôpitaux étaient plus malins que d’autres et décoraient le plafond ! Une excellente idée pourtant si évidente.

La 2ème histoire est liée au locked in syndrome ou syndrome d’enfermement. Imaginez que votre corps devienne votre prison et que votre unique moyen de communiquer passe par de très légers battements de vos yeux. Le cerveau peut alors devenir totalement fou car vous lui coupez quasiment toutes les entrées possibles de stimuli.

C’est en lisant le témoignage d’une personne étant victime de ce syndrome (dans le livre « Putain de silence » de Philippe et Stéphane Vigand) et des passages du livre « l’ultime secret » de Werber que ce thème de blog nous est venu à l’esprit. Au passage, j’ai pu à nouveau ajuster la perception de ma propre échelle de galère. Je vous invite également à lire le livre de Vigand. J’ai pu voir cette personne à la TV. Ce qui m’a le plus plu dans son histoire, c’est qu’il ait gardé son sens de l’humour. Pour moi, c’est la preuve d’une grande intelligence et d’une force hors norme.

Et le rapport avec la stimulation de Nathan ?

Je trouve que cette longue mise en contexte que je viens de vous faire permet de bien décrire ce que nous avons vécu avec Nathan.

Comme Nathan a des comportements autistiques et une fâcheuse tendance à tout imaginer pour éviter de faire ce qu’on lui demande, il ne va pas se livrer par défaut avec grand plaisir à une nouvelle forme de stimulation. Or, il ne faut surtout pas le laisser repartir seul dans son petit monde, sinon il va finir un peu comme la grand-mère dont je vous parlais plus haut : attaché à des détails sans importance qui ne le feront pas progresser.

En effet, nous avons toujours pu constater que plus on persévérait, plus on arrivait progressivement à le sortir peu à peu de sa bulle et lui faire faire des progrès. Et tout cela me parait finalement tellement logique ! En quoi, même handicapé, Nathan serait-il tellement différent de moi, de ma femme, de ma grand-mère et de n’importe qui d’autre ? Ok, il est un peu lent à la détente mais son cerveau a besoin aussi de cette balance régulière de stimuli et de pause pour le laisser structurer tout cela.

Pourtant, on nous a souvent reproché de vouloir trop « stimuler » notre enfant. Comme si nous étions des parents barbares irresponsables qui tentaient de faire progresser leur enfant à tout prix. Comme si pour les professionnels, on refusait d’admettre la dure réalité : votre enfant n’ira pas bien loin.

Pour eux, à nouveau, son statut d’handicapé semble primer sur son statut d’enfant. J’ai été par exemple marqué en France par le refus systématique pendant des années d’admettre que la méthode ABA pouvait être efficace sur certains enfants autistes. Ce sont des parents qui ont dû se battre, d’abord clandestinement, puis ensuite s’organiser et réussir à convaincre notre système constitué de vieux médecins archaïques de s’ouvrir l’esprit.

Depuis le début, on ne fait que constater cela. On nous dit qu’en tant que parents, nous sommes les mieux placés pour savoir et comprendre ce dont notre enfant a besoin. Pourtant lorsque l’on met en place certaines choses ou lorsque l’on demande d’augmenter un peu certaines stimulations (kiné, orthophoniste, psychomotricité), il faut à chaque fois se battre contre le système.

Ils n’ont toujours pas compris que laisser notre enfant sans la bonne dose de stimulations, c’est l’empêcher de progresser et d’exprimer son plein potentiel. Potentiel plus limité que le nôtre certes, mais potentiel quand même ! Notre enfant peut aller bien plus loin que vous ne l’imaginez. Mais il a besoin de travailler certaines choses bien plus que nous. D’où l’importance d’une stimulation bien ciblée et parfois intensive.

Aujourd’hui, je suis en colère de voir que nous sommes toujours obligés de nous battre pour cela. Nous avons même découvert des méthodes révolutionnaires de kiné comme MEDEK créée au Chili pour stimuler nos enfants en difficultés motrices. Cela a clairement aidé Nathan et nous a ouvert l’esprit. La méthode m’avait même été soufflée à demi-mots par notre neuro alors que je la connaissais déjà grâce à Internet. Comme si c’était quelque chose d’honteux. Alors que cette méthode est parfaitement reconnue au Canada ou en Israël ! On parle quand même de 2 grands pays, là. Mais non, nos médecins français doivent apparemment être plus malins. En fait, je pense plutôt qu’ils sont trop arrogants pour oser se remettre en cause et apprendre de leurs confrères d’autres pays.

J’ai maintenant pleinement conscience que quel que soit le cerveau, il a besoin de stimuli pour évoluer et se maintenir en pleine forme. Je ne laisserais pas mon petit garçon végéter sous prétexte qu’il est handicapé. On sera toujours à ses côtés pour se battre contre ce fichu système qui s’obstine à ne rien vouloir comprendre.

Nos enfants handicapés sont comme nous. Ce sont des êtres sociaux. Ils ont besoin du contact des autres. Ils ont besoin d’être stimulés pour progresser. Comme nous, il faut faire attention à ne pas effectivement tomber dans la sur-stimulation qui serait contre-productive.

Mais messieurs, mesdames les professionnels, faites un peu confiance aux parents pour déterminer quel est le meilleur équilibre. Et laissez nos enfants côtoyer d’autres enfants pour se socialiser. Ne les laisser pas de côté, s’enfermer dans leur solitude. Comme vous, ils ne demandent qu’à apprendre et progresser. Ce n’est pas en les laissant seuls dans une bulle de coton, pour soi-disant les protéger, que vous les aiderez.

Changeons ensemble l’intégration du handicap car nous serons tous touchés un jour

Généralement, l’homme a souvent peur de l’inconnu, de ce qu’il ne comprends pas ou de ce qui sort de son système de valeurs établies depuis son enfance. C’est à mon sens le plus grand fléau de nos sociétés. Les réactions sont malheureusement souvent négatives et entrainent par exemple le rejet, l’agressivité voir même la haine. Certains débats récents ne font que confirmer mon sentiment. D’autres préfèrent ignorer une situation qui les dérangent en se disant: “ce que je ne vois pas, n’existe pas”. Comme bien d’autres différences, le handicap ne fait pas exception à ce phénomène. Mais heureusement, tout n’est pas obscur. Certains individus sont plus tentés de comprendre l’inconnu. Leur curiosité et leur ouverture d’esprit les mènent alors à se rapprocher de l’autre pour échanger et apprendre d’eux. Les 2 parties s’enrichissent alors mutuellement et y gagnent souvent beaucoup.

Mais avant de parler de ce sujet captivant, commençons par un peu de “marketing”. Parlons d’abord du logo et de sa perception.

Logo-handicap

En effet, vous connaissez tous cette symbolique utilisée pour représenter le monde du handicap: une personne en fauteuil roulant (même s’il existe d’autres logos moins connus je trouve). Aujourd’hui, lorsque l’on repère ce symbole, on l’associe directement à la notion de handicap. On est ainsi censé prendre pleinement conscience que lorsque l’on se gare sur une place avec ce symbole, on fait une bêtise! Cependant, il reste beaucoup d’idiots ne semblant toujours pas comprendre ce concept pourtant simple à assimiler. Preuve qu’il reste du boulot sur l’opération marketing et la sensibilisation au handicap.

Malgré tout, je trouve ce symbole vraiment réducteur sur ce qu’il est censé englober. Le handicap s’exprime de milliers de façons différentes. Mais on s’en rends jamais compte tant que nous n’y sommes pas confrontés. Dans notre cas par exemple, Nathan est catégorisé dans la section polyhandicap. J’ai mis longtemps à comprendre ce que cela pouvait bien dire. Ma seule référence au monde du handicap était ce symbole et les para ou tétraplégiques que j’y associais bêtement. Quelle pouvait bien être la signification du mot polyhandicap?

Au fur et à mesure, j’ai fini par comprendre que le handicap touchait quasiment tous ce qui pouvait nous constituer: notre mental, notre physique, notre chimie, nos sens. Nathan a la chance d’avoir un savant mélange de plusieurs déficiences ce qui fait de lui un polyhandicapé. Terme générique qui n’aidera personne à comprendre sa différence. Ce n’est pourtant pas très compliqué à expliquer en détails. Nathan a un retard neurologique qui le freine énormément dans l’acquisition de la parole ou de la marche par exemple. Bref, son cerveau n’est pas au mieux. Par ailleurs, il est ce que l’on appelle hypotonique, ce qui veut dire que tu es trop mou mon garçon! Tes muscles sont trop relâchés. Du coup, quand il était bébé, il ne se tenait pas correctement assis et se penchait trop d’un côté. Cela a modifié sa colonne vertébrale et a engendré une cyphose (écroulement sur lui-même vers l’avant) et une scoliose (une sorte de S se forme dans son dos). Pour finir, il a des comportements autistiques. En gros, des troubles de la communication et du comportement. Bref, il se retrouve pour manger dans une chaise moulée à son corps, sur roulette, un corset sur le torse, des coques aux pieds et n’est jamais bien concentré sur ce qui vous intéresse vous. Il est donc franchement éloigné de ce que peu m’inspirer le symbole par défaut du handicap. J’aurais aimé un peu plus de pédagogie du système médical ou une meilleure gestion de l’information par les organismes de santé.

Alors tout ce que je viens de dire peut vous paraitre un peu dur j’imagine. Mais pourtant, je pense que nous sommes tous demandeur d’explications claires et simples de la situation. Ce n’est pas en se réfugiant derrière des mots barbares que les médecins vont atténuer notre chagrin et mieux nous protéger. Au contraire! On veut savoir pour mieux agir pour notre enfant. C’est donc mon premier conseil: par pitié, expliquez nous avec des mots simples ce qui arrive à nos enfants. Cela nous permettra de mieux comprendre et du coup de mieux expliquer aux autres. Cela favorisera l’échange et l’écoute des autres.

Continuons sur cette notion de marketing. Le problème majeure de la bonne gestion du handicap est qu’il coute cher, qu’il est loin d’être sexy et tant que nous n’y sommes pas confronté directement, franchement on peut le dire, on s’en fout royalement. Il n’y a qu’à voir la pauvreté de l’accessibilité dans notre pays par rapport à certains pays scandinaves ou des Etats-Unis où j’ai eu l’occasion de me rendre. Et puis, un polyhandicapé comme Nathan ne pourra surement jamais voter ou protester auprès de nos élus ou candidats. Et nous parents, on a parfois malheureusement plus assez d’énergie pour aller se battre à nouveau à sa place. J’espère malgré tout qu’un jour nous nous fédérons tous pour faire pression et faire changer les choses. 

En attendant: la France est toujours aussi mauvaise dans ce domaine et l’actualité récente indique que cela n’est pas prêt de changer: Handicap : l’accessibilité des villes, toujours insuffisante 

Je me suis alors longtemps creusé la tête sur la manière “d’intéresser” à l’importance du handicap sous un angle marketing. Cela peut peut-être vous choquer mais je trouve ça important de réussir à trouver un moyen d’intéresser la masse.

Par exemple, dans mon boulot, j’ai fait partie d’un groupe de travail sur l’accessibilité et nous parlions fréquemment des sites web. L’accessibilité est quasiment systématiquement négligée dans la conception des sites car mal maitrisée, introduite au mauvais moment et surtout en priorité ultra basse. J’avais beau retourner le problème dans tous les sens, je ne trouvais pas de manière pour faire changer les choses à une échelle importante. A part bien évidemment la technique du méchant bâton: rendre obligatoire la chose par décret. Technique qui ne marche jamais de manière globale. Je cherchais donc une approche qui pouvait motiver dès le début les responsables. 

Puis arrive en fait l’évidence. Evidence qui m’a longtemps échappée. Nous serons tous un jour handicapé d’une manière ou d’autre

Vous finirez surement par voir de moins en moins bien et ce jour là, l’accessibilité mise en place sur un site web vous sera bien utile. Or, il se trouve que nos actuels et futurs vieux seront friands de nouvelles technologies et seront nombreux. Point important pour les industriels: ils auront de l’argent à dépenser ! Vous allez voir alors que, magiquement, beaucoup plus de monde va s’intéresser à l’accessibilité visuelle.

Cette approche est d’ailleurs vraie pour l’ensemble des handicaps. Ce qui est bon pour un handicapé est bien souvent bénéfique aussi pour un non-handicapé.

Qui n’a par exemple jamais galéré en ville avec sa poussette, devant prendre parfois des risques en roulant n’importe où pour continuer d’avancer? Alors imaginez la même situation avec un gros fauteuil électrique. Pourtant ce que nous ferions sur les infrastructures pour un fauteuil sera bénéfique pour tous. Je l’ai constaté aussi dans l’industrie logicielle. Certaines interfaces avaient été travaillées pour faciliter la navigation de personnes mal voyantes. On s’est alors aperçu que des personnes valides utilisaient les mécanismes d’accessibilité (navigation au clavier) car ils étaient plus efficaces. Les exemples sont donc nombreux.

J’espère donc que cette fatalité qu’est notre dégradation naturelle bénéficiera à ceux qui n’ont pas attendu d’être vieux pour galérer.

Au passage, la vie me fait ainsi un peu penser à une courbe de Gauss:

J’avais déjà ce sentiment depuis longtemps mais c’est ma grand-mère actuellement en maison de retraite médicalisée qui m’a conforté dans ce sentiment. Elle a des difficultés à se déplacer, utilise un déambulateur qui ressemble étrangement à celui de mon fils. On se moque d’ailleurs souvent gentiment d’elle en lui disant que si elle ne fait pas gaffe, Nathan va finir par aller plus vite qu’elle! 😉

Mais ce qui m’a le plus marqué c’est la fin de la courbe. Elle touche nos personnes âgées et entrainent des difficultés à gérer qui ressemblent furieusement à celles que nous avons avec nos enfants handicapés. Nos enfants se situent plutôt en début de courbe bien sûr. Et comme je vous le disais dans mon billet précédent, l’échelle de temps n’est pas du tout la même pour eux. Ils restent longtemps bloqués sur le début de la courbe et leurs courbes sont bien plus plates que les nôtres puisque leur potentiel est plus faible. Pour ma part, j’espère toujours être dans la phase ascendante. 😛

J’espère donc que ce vieillissement de la population apportera des modifications économiques salvatrices pour nos handicapés. Notre pays gère malgré tout le handicap trop souvent de manière honteuse en attendant. Surtout pour un pays qui se revendique “social”. J’aurais l’occasion de revenir sur pleins de points choquant dans des prochains billets. 

Bon, nous avons abordés jusqu’à présent que des aspects marketing ou économiques de la gestion du handicap. Mais il y a un problème de fond encore plus important à gérer dont je vous parlais au début: la perception même du handicap par les autres.

On ne nous apprends pas à nous comporter face à une personne handicapée et comme on se trouve en plus rarement dans cette situation, on est encore plus paumé le jour où cela arrive. Alors comment réussir à améliorer cela?

Je pense que l’une des manières les plus efficaces est de sensibiliser les enfants dès leur plus jeune âge et mélanger les 2 populations. Les petits acceptent de manière magique le handicap de l’autre car ils sont encore innocents et n’ont pas encore de barrières, de préjugés. Leur référentiel, leur système de valeurs est en pleine construction. Si l’on intègre le handicap d’un autre pendant cette phase, les enfants le percevront comme quelque chose qui fait naturellement partie de la vie. Ils n’auront aucun problème plus tard à se comporter face au handicap. Bref, nos enfants sont tout simplement les adultes de demain.

Laissez moi ainsi vous partagez une anecdote sur Nathan. Ma femme a voulu l’intégrer quelques heures par semaine en école maternelle dans notre village. Au début, j’avoue que j’étais vraiment sceptique sur l’intérêt pour lui. J’avais aussi peur de la “confrontation” avec les autres enfants ordinaires. On allait encore s’en prendre plein la figure et se rendre compte de l’énorme différence d’évolution entre ces petits bouts de choux et le notre. J’avais peur que cela nous fasse plus souffrir qu’autre chose.

Bien sûr, nous ne l’avons pas envoyé à la maternelle pour qu’il apprenne comme les autres et qu’il fasse plus tard polytechnique. Nous savons depuis longtemps que Nathan est sur une trajectoire différente. Nous voulions qu’il soit stimulé par cet environnement créatif et joyeux qu’est la classe. Pourtant, la soit-disant “psychologue” de la MDPH n’a pas manqué de nous rappeler que notre enfant était handicapé et qu’il ne fallait pas que l’on se fasse d’illusions. Il n’ira jamais plus loin. Merci Madame, nous étions déjà au courant depuis longtemps. N’hésitez pas par contre à reprendre vos études de psychologie, j’ai l’impression que cela n’a pas été bien brillant sur les bancs de l’école et que vous avez loupé pas mal de notions élémentaires. Les réticences étaient fortes donc, vous l’aurez compris. Et heureusement que sa super éducatrice et  sa super enseignante du SSAD étaient là pour nous épauler et surtout épauler notre fils. Merci aussi à la directrice et aux enseignantes de notre école d’avoir accepté de jouer le jeu!

Pourtant, l’expérience fut extraordinaire pour Nathan. Il fut stimulé comme jamais par les autres enfants. Les débuts étaient un peu durs mais rapidement tout le monde a constaté des progrès. Alors que ma femme avait vu au début une levée de boucliers, tout le monde a fini par admettre après 3 ans d’intégration à la maternelle que l’expérience était vraiment réussie. Il ne faut jamais lâcher l’affaire lorsque vous êtes convaincu que c’est bon pour votre enfant !

Mais le plus top fut le comportement des autres enfants. Ils voulaient aider Nathan, lui faisaient des bisous, s’occupaient de lui. C’était une petite star. Aux fêtes de fin d’année, je voyais des enfants qui réclamaient aux parents de venir voir mon petit. Je remarquais bien que certains parents n’avaient pas l’air super emballés mais les petits eux n’en avait que faire. Le top du top fut sa dernière fête des écoles. Sa maitresse l’a intégré au spectacle malgré son handicap. Elle lui a trouvé un rôle de sultan qui ne bougeait pas et restait assis sur une table pendant que les filles faisaient une danse du ventre autour de lui et lui remettaient leur foulard pour le charmer. Il était magnifique avec son costume. Les autres enfants étaient merveilleux. C’était un moment parfait et magique. Son handicap n’existait plus, Nathan faisait parti du groupe. Bien sûr, je pleurais de bonheur.

J’espère que cela aura marqué les enfants qu’il aura côtoyés et que cela fera d’eux des adultes à l’aise avec le handicap.

Je pense donc que l’éducation nationale doit avoir une place prépondérante dans le changement de perception et l’amélioration de l’intégration du handicap dans nos vies. Par ailleurs, la loi du 11 février 2005 a renforcé notre droit à intégrer nos enfants handicapés dans le système scolaire. Pourtant, je peux vous dire qu’ils sont nombreux à tout faire pour nous empêcher d’y arriver, MDPH incluse, ce qui est choquant. Mais battez vous, faites valoir vos droits. Cela sera bénéfique pour votre enfant et ceux des autres !

On en arrive donc à parler de la perception des adultes. Or, faire changer le regard des adultes envers le handicap est bien entendu plus difficile.

Il y a un truc par exemple qui m’hallucine, c’est le taux de personnes handicapées dans nos entreprises. Il parait que la population des handicapés est de 5 millions en France. Alors certes, tout le monde n’est pas en état de travailler. Mais sur les actifs potentiels, je serais curieux de connaitre le taux de chômage. Il doit être effrayant. Du coup, à nouveau, personne ne se retrouve confronté au handicap dans sa vie quotidienne et cela n’améliore donc pas ses capacités à le gérer. 

Nos RH se réfugient derrière des excuses bidons. Ils préfèrent payer l’amende plutôt que de prendre le risque de travailler avec des gens qui leur font peur. Pourtant, par exemple dans mon domaine, être en fauteuil n’empêche pas de taper sur un clavier. Mieux, à l’heure du fameux télétravail, la personne peut travailler souvent chez elle si nécessaire. Encore mieux, je suis intimement persuadé qu’une personne souffrant d’un handicap aura surement plus de rage et de motivation dans son boulot qu’une personne lambda. Mais à nouveau, est-ce vraiment de leur faute à nos chers RH ? Ils n’ont surement jamais été confrontées au handicap et respectent bien la règle de “ce que je ne connais pas me fait peur”.

Bon, je m’aperçois que je suis en train d’écrire un billet trop long. Alors je vais finir sur 3 points que je voulais vraiment aborder. Sinon, c’est un livre qu’il va falloir que j’écrive.

1. La médiatisation. Je suis content de voir que des émissions comme “Les Maternelles” sur France 5 abordent fréquemment la question du handicap avec tact et intelligence. Cela permet bien de montrer que le handicap de nos enfants fait partie de la vie. J’adore l’équipe. Il y a aussi eu l’excellente émission récente d’Eglantine sur France 5 à nouveau: Mon fils, un si long combat suivi de enfants sorciers.

Il faut vraiment continuer sur cette voie en faisant attention à ne jamais tomber dans un voyeurisme malsain ou en voulant être trop larmoyant. Ensuite, il y a bien sûr l’émission annuelle sur Téléthon où l’on voit des présentatrices comme Sophie Davant vraiment donner de sa personne. Un vrai bel être humain. C’est aussi l’occasion unique de mettre le focus sur des maladies rares. Bon, le problème, c’est que TF1 persiste à vouloir mettre en face des jolies filles en maillot de bain… Forcément, entre voir un enfant à la vie difficile en fauteuil et un 90/60/90 en bikini sur l’autre chaine, j’imagine aisément le choix des gens. Et il faut être honnête, l’émission Téléthon n’est pas non plus super captivante. Il y a surement moyen de rendre l’émission plus dynamique. Mais c’est malgré tout un moment que j’adore dans l’année car je vois pleins de gens d’exception se mobiliser dans les villages. Mes parents par exemple se donnent à fond ! 🙂 Pourtant même si je donne tous les ans, je ne pense pas que cela couvre des recherches pouvant aider un jour mon fils. Je le fais donc par pure solidarité pour les autres.

2. Je pense que la responsabilité du changement de perception et du partage ne vient pas uniquement du côté des personnes valides. Les personnes handicapées ou leurs parents se doivent aussi de faire un effort et essayer de s’ouvrir aux autres. Il ne faut pas hésiter à expliquer, à montrer, à partager. Je sais que c’est souvent difficile et douloureux mais c’est nécessaire. Faites-le bien entendu dans la mesure du possible. C’est ce que j’essaie de faire par exemple à travers ce blog.

Sinon, on risque de se retrouver qu’entre familles partageant le monde du handicap, là où l’on se sent bien. Les autres nous comprennent forcément mieux, on se sent alors enfin dans notre élément. Pour vivre heureux, vivons cachés diront certains. Pourtant, à chaque fois que j’ai osé parler de mon fils, presqu’à chaque fois la personne en face avait été plus ou moins concernée. Un neveu, un cousin, un oncle, un frère, un ami. On s’aperçoit alors que nos handicapés, nous les cachons pour être tranquille et c’est tout simplement une mauvaise idée.

Il faut donc absolument éviter le phénomène de ghettoïsation potentiel. Retrouvons-nous de temps en temps entre familles d’handicapés, cela nous fait à chaque fois un bien fou. Mais ne sortons pas du reste de la société, cela serait un échec d’intégration. Soyez fier de vos enfants et parlez-en autour de vous. Ils sont incroyables, ils le méritent.

3. Pour finir, j’aimerai insister sur un point qui est vraiment important à mes yeux. Un enfant handicapé est avant tout un enfant avant d’être un handicapé. Pourtant, même les professionnels du secteur semblent parfois l’oublier. Ce sont juste des enfants. Donc ils vont ruser, chouiner pour rien, faire des caprices, manipuler leurs parents. Ils vont même jusqu’à se permettre de se moquer de vous les vilains! Nathan par exemple a une technique bien à lui pour éviter de faire les choses qui manifestement le gonflent. Il mets ses poupouces dans la bouche et va jusqu’à simuler être épuisé. Et lorsqu’il voit des fois qu’il a eu raison de l’adulte qui s’occupait de lui, je l’ai vu se marrer en douce! J’imagine bien ce qu’il se dit alors dans sa jolie tête blonde: “trop fort, je suis trop bon comédien !”.

Pourtant, on nous a déjà plusieurs fois reproché de vouloir “trop” stimuler notre enfant. Ne le bousculez pas trop le pauvre, il est handicapé vous savez! Oui, oui, on est toujours au courant je vous rassure! 🙂 Mais on vous rappelle aussi de notre côté que c’est un enfant avant tout. S’il a décidé de ne pas réaliser un truc même s’il en est capable, il va trouver n’importe quel subterfuge pour éviter de le faire. C’est juste un enfant. Alors bien entendu, le curseur est souvent difficile à trouver entre sa capacité réelle à faire quelque chose et une souffrance éventuelle liée à son handicap. Mais si on passe autant d’années à se battre à leur côté, c’est qu’on les aime vraiment nos enfants, ce n’est pas pour les faire souffrir par plaisir. Donc, faites nous un peu confiance. 😉

Voilà, c’est en substance ce que je voulais partager. J’aurais tellement plus à dire mais il faut savoir se concentrer sur l’essentiel.

En conclusion, n’ayez pas peur du handicap, vous aurez compris que vous avez de fortes chances d’y être confronté un jour d’une manière ou d’autre autre. Je suis désolé de vous l’apprendre. Mais du coup, autant vous y habituer le plus vite possible! 😉

Et ne vous inquiétez pas, il n’y a pas que tristesse et désolation à partager, nous avons aussi des bons moments à partager avec vous. Faisons donc un pas l’un vers l’autre, échangeons et apprenons.

Une histoire d’échelle

Les choses n’existent que de la façon dont on les perçoit à une certaine échelle
Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu – ESRA Tome 3 [La révolution des fourmis]
Bernard Werber

Cette citation m’a été soufflée par ma femme, fan absolue de Werber, et résume parfaitement ce que je souhaite décrire ici.

Je vais ainsi vous faire part d’une théorie personnelle : pour s’en sortir, il est vraiment important d’être capable de se situer sur une échelle. Et même sur des échelles: échelle d’intelligence, échelle du temps, échelle de souffrance ou échelle de bonheur. Elle peut donc prendre plusieurs formes.

Cette histoire d’échelle m’a d’ailleurs touché bien avant l’arrivée de Nathan. Comme beaucoup de jeunes, j’étais arrogant et j’avais l’impression d’être brillant, d’être plus malin que les autres. Le syndrome dit du “petit con” bien moins grave que celui qui touche mon fils, je vous rassure. Mais j’ai alors eu la chance de rencontrer des gens bien plus intelligents que moi, notamment dans l’entreprise où je travaille actuellement. Cela m’a alors bien remis à ma place mais surtout cela m’a permis de relativiser. Je suis loin d’être idiot mais je suis loin d’être le plus intelligent. Il est également important d’effectuer ce travail dans son histoire et son rapport au handicap. Il faut faire preuve de lucidité.

Bien sûr lorsque cela commence à vous toucher, tout s’écroule autour de vous et ce travail de recul est impossible au début. Le monde que vous aviez entrevue s’évanouit et laisse place pendant quelques temps à une forme chaos. Dans notre cas, cela a été particulièrement violent et il a fallut du temps pour que nous nous reconnections à la réalité de chacun. On se fixait alors des objectifs à très court terme. Comme l’avenir n’existait plus, on ne se projetait plus que sur une journée au maximum. La période la plus dure fut sans aucun doute notre stage dans le service de Neuro de Necker. Enfermé dans une petite salle surchauffée prêt du lit à barreaux de Nathan, surveillant ses moindres faits et gestes, entouré de bruits des différentes machines chargées de contrôler les constantes des enfants. Puis au fur et à mesure que l’on surmontait nos galères et que nous nous sommes mis à revoir le jour, on se fixait des objectifs plus lointain: la semaine voir même des mois! Le truc de fou quoi. Mais soyons honnête, nous n’avons toujours pas refranchi le cap de la projection sur plusieurs années. C’est encore trop compliqué.

C’est malgré tout pendant ces 15 jours difficiles que j’ai pu prendre conscience de plusieurs échelles. L’échelle du temps tout d’abord. Le temps ne s’écoule définitivement pas de la même manière lorsque vous êtes proche de votre enfant malade dans un hôpital que lorsque vous êtes en train d’en profiter tranquillement dans un parc par une belle journée ensoleillée. Cela vous permet plus tard d’apprécier alors bien davantage ces petits moments lorsqu’ils se présentent à nouveau.

Mais ce rapport au temps est bien plus vaste que je ne le pensais à l’époque pour Nathan. On nous avait prévenu: “Nathan va évoluer à son rythme” qu’ils disaient. Oui mais quel rythme? Personne ne le sait malheureusement. Et encore moins lorsque vous êtes classifié dans une maladie orpheline et inconnue. Par définition, il faut savoir que l’avenir est totalement imprévisible pour vous. Et même avec des pouvoirs Jedi! Yoda le disait d’ailleurs lui-même “Difficile à voir. Toujours en mouvement est l’avenir.” Je n’essaie donc pas. Si même Yoda n’y arrive, je suis mal barré pour réussir.

Sauf, qu’en parallèle, on vit dans une société où tout va à 100 à l’heure. Tout est réseaux sociaux et vous êtes au courant de n’importe quelle bêtise dans la seconde où cela arrive. Pire, je travaille dans l’informatique. Tous les jours, mon cerveau est sollicité par une masse de nouvelles informations. Je suis dans l’effervescence permanente. Nathan lui évolue sur une échelle de temps qui n’a rien à voir avec tout cela. On a mis beaucoup de temps à l’accepter et je pense que nous avons toujours du mal à la digérer. Pourtant, elle lui convient parfaitement. Il lui a fallut 3 ans pour savoir s’assoir tout seul mais il ne voit pas où est le problème lui. Et puis, franchement, même s’il ne parle pas, il m’a avoué que les réseaux sociaux et la téléréalité, ça lui passe au dessus de la tête: “c’est de la connerie tout ça, papa”. 

En fait, le vrai problème est que notre société nous impose une image de la normalité. Votre enfant ne marche pas à 9 mois? Vite consultez un pédiatre! Il ne maitrise pas 2 langues à 2 ans et n’a pas encore écrit sa première symphonie? Mais qu’avez-vous fait de lui?!? Que va-t-il faire de sa vie ce pauvre bonhomme? Bref, ce besoin stupide de compétition à outrance nous pète encore plus à la figure avec un enfant handicapé. Pendant que certains parents sont obsédés par le QI de leur rejeton, nous, on aimerait juste qu’il sache un jour se déplacer par lui-même ou qu’il me dise simplement un jour “papa”.

Nous étions donc très en colère au début lorsque certains partageaient leur peine avec nous alors que leurs problèmes nous paraissaient si dérisoires par rapport aux nôtres. Mais après réflexions, je me suis dit: qui suis-je pour les juger? pourquoi ma vie serait-elle plus compliquée que la leur? C’est là que j’ai pris conscience d’une autre échelle. L’échelle de la souffrance ou du niveau de galère.

Certaines mamans que j’ai pu croiser devenaient hystériques lorsque leur petit devait avoir une petite opération bégnine, devait porter une paire de lunettes ou parce qu’il avait une petite gastro. Au début j’avais envie de les gifler mais je me suis alors rendu compte que c’était tout simplement l’évènement le plus “grave” qui leur était arrivé. Sur leur échelle donc, ce problème était tout en haut de la pile. Devrais-je leur reprocher d’avoir eu une vie tellement idyllique que le moindre petit souci devienne une catastrophe pour elles? Clairement pas. Mais j’aimerais que de temps en temps, ces mêmes personnes prennent mesure des galères des autres pour relativiser un minimum leurs tracas quotidien et prendre conscience que tout cela n’est pas si grave. Je leur souhaite également de ne jamais voir leur échelle de souffrance dépasser ce stade.

Mais plutôt que m’ériger en donneur de leçon, je me suis dit qu’il fallait que j’applique cette règle à moi-même. D’ailleurs, nous l’appliquons en couple cette règle. Il suffit alors d’ouvrir les yeux et de partager les histoires des autres. Revenons à mes 15 jours de Necker. On faisait un roulement avec ma femme pour tenir. Je restais 2/3 jours au près de Nathan puis c’était à son tour de rester enfermée avec lui. Un soir, je lui passe le relais et je tente de quitter le bâtiment où nous étions. Manque de bol, je me trompe d’étage et j’arrive dans le service des enfants bulles. Je me suis pris une bonne claque dans la figure! Voir ces petits bouts cloisonnés dans cette bulle en plastique, imaginer les parents ne pouvant prendre leurs enfants dans leurs bras comme ils le souhaitent. Cela devait être dur. J’avais au moins le privilège de pouvoir faire des câlins à mon fils.

Depuis 7 ans, j’ai l’occasion de rencontrer nombre de familles et d’enfants handicapés. Il faut savoir que chaque handicap est unique et s’accompagne de son lot spécifique de galères. C’est le jeu ma pauvre Lucette!

J’ai pu alors prendre mesure que nous n’étions pas au plus haut de l’échelle de souffrance et de galères. J’ai croisé des enfants qui m’ont littéralement fendu le cœur. Je me suis alors dit que finalement, notre petit Nathan ne s’en sortait pas si mal. Alors l’idée n’est surtout pas de se dire qu’il y a toujours pire que soi. Non, surtout pas! Mais plutôt de mesurer, même dans la galère, la chance que l’on a.

Je terminerais par une dernière échelle, celle du bonheur. Celle-ci est à nouveau totalement relative et purement subjective. Elle est à nouveau fortement influencée par les dictâtes qui nous entourent. Pour certain, avoir la ligne va les rendre heureux au plus haut point ou inversement avoir l’impression d’être trop gros va les rendre malheureux comme les pierres. Pour leurs enfants, certains pensent devenir heureux en les voyant suivre telle ou telle trajectoire qu’ils auront eux-même défini. A notre niveau, cela nous afflige souvent mais à nouveau, je ne peux pas vraiment leur reprocher. Ils sont enfermés dans un système dont ils n’ont plus conscience. C’est la matrice en fait!

Dans le cas du handicap, je pense qu’il y a 2 échelles de bonheur à prendre en compte: celle des parents et celle de l’enfant. Dans mon cas, j’ai souvent l’impression d’être heureux malgré tout ce qui a pu nous arriver. On traverse souvent des périodes très dures mais j’arrive à être rempli de bonheur en découvrant les petits progrès et le courage de mon petit. Récemment ma femme m’a envoyé une vidéo de chez le kiné où il arrivait à presque faire du 4 pattes tout seul! J’étais totalement comblé. En ce moment même où j’écris ces lignes, il se balade dans son “éducator”, sorte de déambulateur pour les handicapés. Il avance de manière plus ou moins aléatoire dans le salon, rentre dans mes enceintes hifi qui coutent une fortune violemment mais ce n’est pas grave. Je suis heureux de le voir prendre un peu d’autonomie et se balader tout seul. Je trouve ça trop fort! Et comme je vous le disait dans le billet précédent, je pense que l’on est capable de se satisfaire de toutes ces petites choses. Notre rapport à la vie est souvent différent des autres. Nous sommes un peu moins enfermés dans la matrice que les autres. A nous de vous montrer le chemin pour en sortir.

Pour Nathan, c’est encore plus magique. A son échelle, je le sens vraiment totalement heureux. Il aime sa mère (et surement son père et son frère j’imagine ;)), s’éclate avec les jouets les plus simples au monde (une bouteille de lait, un couvercle de petit pot) et adore éclater ses canards dans son lit. Alors cela peut vous paraitre dérisoire mais pour lui, c’est juste une vie de dingue! Sa propre perception du bonheur est radicalement différente de la nôtre. Il n’est pas sujet à des règles pré-établies, il profite juste de la vie telle qu’elle lui a été donnée.

Bref, nous vivons tous dans une échelle de temps et de bonheur différente. Apprenez à vous repérer dans ces échelles et partagez celles des autres. Vous aurez tout à y gagner et vous serez peut-être en mesure de percevoir les choses de manière différente.

Notre histoire résumée, un syndrome qui nous a définitivement mis à l’ouest!

Notre fils s’appelle Nathan, est né fin 2006 et est sans aucun doute l’un des plus beaux garçon de la planète. Je n’y peux rien, c’est comme ça. J’ai aussi un fils ainé de 15 ans. J’aime à dire que je l’ai récupéré tout fait à 4 ans. Il est beau aussi (vive l’objectivité parentale!) et brillant. Il est chiant comme un ado mais pas trop. Mais parlons plutôt du plus jeune.

J’ai eu l’impression qu’il se développait comme tous enfants les premières semaines. On a eu quelques soucis pour qu’il prenne du poids au début mais rien de méchant je pense. J’avoue avoir du mal à me souvenir comment il était exactement avant que “l’évènement” n’arrive. Bref, plusieurs semaines se passent et on arrive à une belle journée de fin d’hiver/début printemps pendant mes vacances. Je suis seul avec le petit bout sur le canapé lorsque soudain je trouve que Nathan a comme un sursaut et a un regard étrange. Cela m’a immédiatement fait peur mais votre esprit lutte et essaie de se convaincre “cela ne devait être rien, il a du avoir peur”. Sauf, que rien ne s’était passé de particulier dans la pièce… La journée reprends, on dine et sa mère lui donne son biberon. Soudain, l’évènement précédent recommence avec beaucoup d’ampleur. Nathan se fige totalement, sa mère hurle en me demandant d’apporter de l’eau pour lui rafraichir le visage. Voilà. Seulement après 3 petits mois de son arrivée sur Terre, notre petite vie va basculer bien plus que nous l’imaginions.

Les choses se précipitent, nous sommes d’abord pris en charge aux urgences d’Orsay où l’on fait une ponction lombaire à mon bébé et l’on tente de nous rassurer sur le mot que personne n’ose encore prononcer: “l’épilepsie”. Mais rapidement, le chef de service assiste à une crise et les mouvements dits en flexion qui les accompagnent ne sont pas bon signes du tout. Nous sommes alors rapidement redirigés vers le service de neurologie de Necker où nous y passons 15 jours de vacances. Le bilan tombe assez rapidement. Nathan souffre du syndrome de West, une épilepsie sévère du nourrisson. Je me souviens encore de l’horreur de ces crises, de voir le regard de mon Nathan entre 2 saccades me supplier de l’aider. Je pense que ce sont les moments les plus horribles de ma vie. Voir son enfant souffrir et avoir ce sentiment affreux d’impuissance totale. Saleté d’épilepsie qui pouvait engendrer des crises jusqu’à 15 min. Je vous promets que c’est horriblement long. Cet orage électrique qui envahit son cerveau n’a jamais été expliqué. Et même si les médecins nous ont dit plus ou moins le contraire, je reste persuadé que ces violentes crises lui ont abimé son petit cerveau.

Nous avons alors vécu au quotidien avec ces crises et le cocktail de médicaments associés: hydrocortisone, sabril, epitomax et je ne sais plus quoi d’autres comme cochonneries. Mon stress de l’époque était de ne surtout pas louper l’heure d’administration de ces médicaments de peur d’augmenter le risque de crises. Mais on se rends vite compte que nos supers neuros sont dépassés par ce qui les entourent. Ils testent des cocktails comme ils le peuvent. Nathan a fait longtemps des crises qui étaient plus ou moins espacées. Cela le ruinait physiquement et psychologiquement à chaque fois. De notre côté, nous avions développé un 6ème sens étrange. Nous étions capables de nous réveiller en pleine nuit lorsque la crise arrivait alors que cela n’engendrait aucun bruit. L’arrivée de super pouvoirs pour nous aider à faire face ? J’aurais tellement aimé… En tout cas, depuis cette époque, nous n’avons plus jamais retrouvé une vraie nuit de sommeil. Je rêve jalousement devant l’insouciance et la qualité de sommeil de mon ado!

Malgré tout, nous avons quand même eu un peu de chance dans notre malheur. Les crises se sont un jour arrêtées d’elles-même le 15 aout 2007. Je ne suis pas croyant mais cette date m’a marqué! Il nous a alors fallut beaucoup de temps pour oser baisser puis un jour arrêter les médicaments anti-épileptiques. D’autant que l’épitomax est juste une catastrophe en effets secondaires: il rend dépressif et anorexique par exemple (rien que ça!). J’aurais d’ailleurs l’occasion de revenir là-dessus dans les nombreuses anecdotes que je vous ai mis de côté. Mais non content de lutter avec Nathan au quotidien sur pleins de choses, il fallait réussir à “juste” le nourrir tous les jours. Chose qu’il semblait manifestement refuser en grande partie. Il faut aussi savoir une chose: ce n’est pas le neuro qui osera stopper les médicaments, c’est vous qui devez oser le faire. Comme ils ne comprennent rien de ce qu’il se passe, j’ai l’impression qu’ils préfèrent vous laisser assumer ce risque. A la limite, je ne suis même pas sûr de leur en vouloir.

Nathan a dès le début eu un développement hors normes. Même si je n’ai jamais eu de nourrissons au développement “normal”, je voyais bien qu’il y avait plein de choses qui clochaient. L’histoire de se retourner sur le ventre, Nathan a du mettre 2 ans au lieu de 2 mois pour le faire par exemple. Mais le plus difficile fut pendant longtemps l’absence totale de communication. Nathan ne souriait pas, ne pleurait pas et ne nous regardait pas. Ne jamais voir son enfant pleurer, c’est vraiment difficile à supporter. Plus que l’absence de rire je trouve. Mais heureusement, cela a finit par arriver. Je me souviens d’ailleurs avoir pleuré lorsque mon fils s’est mis à pleurer à nouveau après des semaines de mutisme absolu. Enfin, il communiquait d’une certaine façon! Bon, je vous rassure, il s’est bien rattrapé entre temps et maitrise parfaitement l’art du chouinage. Le rire est arrivé quelques semaines plus tard. Je m’en souviens encore. J’étais en train de le changer lorsque j’ai cru d’abord halluciner en le voyant esquisser un sourire. Mais lorsque j’ai vu que cela se confirmait, je me suis mis à hurler pour appeler ma femme qui était dehors dans le jardin. Elle est arrivée évidement en panique pensant voir une nouvelle crise. Mais non, c’était juste pour que je lui annonce cette bonne nouvelle! Et oui, vous le verrez surement à travers ce blog, nos joies de parents d’enfants handicapés sont souvent faites de choses insignifiantes pour le commun des mortels. Nous avons souvent un rapport aux choses et à la vie bien différent.

Bon, accélérons l’histoire. Nous avons eu l’immense chance de découvrir ce qu’était un EEG (Électro-encéphalogramme), un IRM, un test du caryotype, un test du super-caryotype (plus précis), de rencontrer des neuro-pédiatres, des ergothérapeutes, des orthophonistes, des psychomotriciennes, des kinésithérapeutes ou autre médecin de rééducation fonctionnelle. Mais aussi de découvrir des termes incroyables auxquels on ne comprenait rien du tout dans les comptes rendus. Ah oui, j’ai oublié de vous dire. Si vous n’avez pas un QI de 250, évitez d’avoir un enfant handicapé. C’est juste chiant. Sinon, vous allez passer des heures à faire de la traduction sur Internet pour déchiffrer ce que les médecins pensent de votre enfant. Du coup, le mieux c’est de faire médecine je pense étant donné que le médecin s’abaisse rarement à rentrer dans le même plan de communication que vous. C’est comme ça, ça leur donne un style qu’ils cultivent. J’aurais également énormément d’anecdotes amusantes à vous partager sur presque l’ensemble des mots scientifiques que je viens de vous balancer.

Mais au final, quel est le bilan de toutes ces recherches?

Nathan a eu un syndrome de West idiopathique et atypique. Si vous avez le courage, la fiche complète de la maladie se trouve ici: https://www.orpha.net/data/patho/Pub/fr/West-FRfrPub894.pdf 

Cela veut dire que Nathan a eu toute la panoplie associée au syndrome mais tout en étant pas tout à fait pareil (je vous le dit avec mes mots à moi). Bref, son épilepsie était surement le symptôme d’une maladie plus globale. Cette maladie, on la cherche encore. Son EEG n’était pas parfait mais cela ne nous a amené à aucune conclusion particulière. Son IRM n’était pas parfaite non plus au début, mais sur les dernières, elles étaient apparemment pas si mal voir même proche d’un enfant sans souci. Nathan est petit pour son âge mais ses analyses de sang ne montrent pas de déficiences d’hormones de croissances. Il a des reflexes moyens au bout des articulations mais les tests effectués sur ses muscles à coup d’électrodes ne sont pas non plus si mauvais. Bref, à chaque fois le mystère reste entier. Je peux vous dire que nous sommes loin de la vitesse et qualité d’analyses des Experts ou de Docteur House. Soit notre système de santé est à la masse, soit on nous ment à la TV!

Aujourd’hui, j’ai conscience que notre enfant est trop compliqué pour l’état actuel de notre science. Sa neuro était d’ailleurs d’accord avec moi lors de notre dernier entretien. Il est donc rangé dans la catégorie “maladie orpheline”. C’est presque cool comme expression. Sauf que cela veut dire que personne ne s’intéressera vraiment à ce qui ne va pas chez lui car cela couterait trop cher de faire des analyses plus approfondies. Par exemple, les analyses génétiques complètes n’ont toujours pas été faites. Nous avons donné notre sang, ma femme et moi et celui de Nathan bien sûr. Le but du jeu étant d’essayer de faire des comparaisons entre nos gènes et par éliminations trouver d’éventuels gènes suspects chez lui. Cela n’a toujours pas été réalisé car apparemment cela coute cher et l’hôpital attend alors d’avoir le financement adéquat avant de se lancer. Enfin, c’est ce que j’ai cru comprendre. Du coup, je peux vous dire que si un jour je gagne à l’euromillion, je sais exactement quoi faire de l’argent… Je construis une structure spéciale pour les maladies orphelines de manière totalement égoïste.

Nathan a aujourd’hui un peu plus de 7 ans. Il ne parle pas, ne marche pas, ne sait pas se déplacer tout seul. Il a aussi des symptômes autistiques comme l’autostimulation ou le fait de très rarement vous regarder droit dans les yeux. Mais quand il le fait, c’est juste un moment magique! Je pense que c’est une star en fait. Il ne vous accorde que très peu d’attention directe mais quand il le fait, il le fait bien.

Sa maman s’est arrêtée de travailler pour s’occuper de lui comme malheureusement bien trop souvent dans ce genre d’histoire. La maman est d’ailleurs juste le pilier central de notre famille. Sans elle, nous ne serions rien à la maison. Je ne serais rien dans la vie. Je pense que c’est une super héros. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un de plus fort qu’elle. Pourtant, il faut savoir prendre soin de la maman car la pression physique et morale qui pèse sur ses épaules est juste insoutenable. J’en parlerais dans un autre billet.

Nathan passe aujourd’hui 3 jours par semaine dans un centre spécialisé appelée EEP et est également suivi par un SSAD (Service de Soin A Domicile) qui nous épaule depuis quasiment le début. Il y a des gens fantastiques qui travaillent dans ces organismes. Vous ne pouvez tout juste pas vous imaginer. Nathan a aussi eu la chance de pouvoir aller un peu à l’école maternelle. J’y reviendrais plus tard.

Nous avons mis beaucoup de temps avant de stabiliser notre vie au quotidien et d’assumer le fait d’avoir un enfant handicapé. Et à chaque fois que nous avons l’impression d’y arriver un peu, un nouveau truc nous tombe sur le coin de la figure en général. Le dernier en date est l’arrivée d’un corset. Mais Nathan a l’air heureux. Il se marre souvent et réclame la “bagarre” comme dit sa mère à coup de chatouillis bien placés. Il a fait quelques progrès au fur et à mesure du temps. Nous arrivons par exemple à le faire marcher en lui tenant les mains même s’il n’est pas capable de tenir l’équilibre seul encore. Il est bien plus gourmand qu’avant et c’est quand même nettement moins galère de lui donner à manger. Il gazouille un peu et raconte sa vie à sa manière. Il suit sa mère du regard partout et ces derniers temps, il ose me toucher de temps en temps mon visage avec sa petite main. Cela ne dure pas longtemps en général, mais qu’est-ce que c’est chouette!

Bon, par contre, il y a qu’un seul truc qui n’a pas changé depuis le début. Et je n’y peux toujours rien malheureusement. Il est terriblement beau ce garçon! Je ne m’en remets toujours pas.

Pourquoi ce blog?

Cela fait longtemps que j’avais envie de me lancer dans un blog perso pour raconter notre histoire. Au début, je me disais: “encore un n-ième blog sur une histoire difficile et triste, à quoi cela peut-il servir?”. Et puis, honnêtement, je ne me sentais pas de partager ce qui nous arrivait. Je n’avais pas assez de recul, j’étais trop fatigué et ce qui nous arrivait était bien trop violent.

Mais après 7 ans de galère, j’ai enfin eu l’envie de me lancer. Pour plusieurs raisons:

1 – Juste pour me faire du bien. Avoir l’impression de partager pour se sentir peut-être moins seul.
2 – Pour dénoncer et crier aux autres à quel point le handicap est mal géré en France.
3 – Pour remercier. Car même si tout n’est pas génial en France, on a quand même globalement beaucoup de chance par rapport à d’autres pays. Et puis, j’ai eu l’occasion de rencontrer des personnes formidables qui se sont super bien occupées de mon fils. Cela serait injuste de ne pas équilibrer mes futurs coups de gueule avec des remerciements intenses à ces gens dévoués.

Pour moi, l’élément déclencheur fut sans doute le reportage d’Eglantine Eméyé sur France 5 il y a presqu’un mois. Vous pouvez revoir ce reportage ici: Mon fils, un si long combat suivi de enfants sorciers

Il faut avoir le courage d’oser s’exposer comme elle l’a fait. Cela m’a donc motivé pour me lancer moi-aussi en partageant. Merci à elle!

Alors pourquoi “la face cachée du handicap” ? Pour 2 raisons:

1 – car cela représente tout simplement une face que j’ai longtemps cachée de ma vie. Je n’avais pas envie que les gens s’apitoie sur mon sort et je n’avais pas envie de traitement de faveur potentiel. Et puis, je n’avais tout simplement pas envie d’en parler publiquement mais uniquement à des personnes dans lesquelles j’avais suffisamment confiance.

2 – pour dénoncer tout ce que l’on vous cache sur le quotidien de la vie d’en enfant handicapé, de l’impact sur son entourage et du véritable parcours du combattant que cela implique. Notre administration et la prise en charge de nos enfants sont parfois hallucinantes! 

Je vous invite donc par commencer à lire mon premier billet qui a consisté à raconter brièvement notre histoire: Notre histoire résumée, un syndrome qui nous a définitivement mis à l’ouest!

J’essaierais de garder ma bonne humeur naturelle dans ces récits même si l’on parlera parfois de sujets graves.

Que la force soit avec nous.

David